TTIP-Leaks
Le 1er mai 2016, Greenpeace Pays-Bas a publié sur son site le texte de documents datant du début 2016 provenant des négociations commerciales TTIP entre L’Union européenne et les Etats-Unis. Il s’agit certes d’un document partiel (13 chapitres sur un total de 24), mais qui dissipe quelque peu l’opacité qui entoure ces négociations. En raison de l’avancement très inégal des discussions selon les sujets et le fait que le document présente la photographie à un moment précis de l’état de ces négociations en évolution constante, on peut difficilement tirer des conclusions quant aux résultat final. Cependant L’ONG publie aussi en accompagnement de cette fuite un « aperçu » des grandes tendances que le texte révèle, et que nous résumons ci-après :
Certaines réglementations européennes qui prévoient l’application du principe de précaution, ainsi que certains processus réglementaires visant à retirer du marché les produits chimiques les plus dangereux seraient mis en péril par l’adoption d’une approche prônée par l’industrie chimique américaine. Celle-ci est basée sur la notion d’évaluation du risque : favoriser la gestion des substances chimiques dangereuses en aval plutôt que leur retrait du marché en amont.
Concernant la protection sanitaire et phytosanitaire, les propositions de la délégation américaine font référence à des « produits de technologie moderne », ce qui reflète clairement la pression exercée pour faire tomber les barrières empêchant les organismes génétiquement modifiés d’entrer dans l’UE. De plus le texte mentionne la « Global Low Level Presence Initiative », initiative internationale relative à la gestion de la présence en faible concentration de cultures génétiquement modifiées dans les produits agricoles.
D’autres dispositions préoccupantes permettraient aux entreprises ou à d’autres acteurs de bénéficier d’un niveau sans précédent d’accès aux processus de délibération des régulateurs des deux côtés de l’Atlantique, voire de s’ingérer dans ces processus. Bien que ces négociations soient censées se dérouler à huis clos pour prévenir tout abus d’influence, les documents qui ont filtré montrent clairement qu’à plusieurs reprises des négociateurs américains ou européens ont consulté des organisations professionnelles et industrielles avant d’arrêter leurs positions, plus particulièrement en ce qui concerne l’industrie chimique américaine et l’industrie des spiritueux aussi bien européenne qu’américaine. Sur des questions clés comme les produits chimiques ou l’agriculture, les négociateurs se contentent de mettre en avant les propositions des industriels ou ne sont pas disposés à accepter des modifications sans consulter les industriels auparavant.
Concernant l’agriculture, les deux parties défendent des approches totalement opposées. L’UE souhaite que l’accord précise que rien n’empêchera les parties de prendre les mesures nécessaires pour atteindre des objectifs de politique légitimes, tels que la promotion et la protection de la santé publique, de la sûreté, de l’environnement, des principes éthiques et de la diversité culturelle. En revanche, les Etats-Unis considèrent que de telles mesures « fausseraient les échanges » et prônent une revue à la baisse des normes de protection.
En ce qui concerne les barrières techniques au commerce, les négociations permettraient à l’industrie de bénéficier d’un niveau d’accès sans précédent aux processus réglementaires, comme l’étiquetage des produits dangereux, de chaque Etat membre.
Dans la section concernant les mesures sanitaires et phytosanitaires, la délégation américaine propose d’ajouter une nouvelle partie intitulée « Sciences et Risques » qui prévoirait que la réglementation destinée à protéger l’être humain, les animaux et l’environnement devrait être étayée par des preuves scientifiques. Cependant pour obtenir de telles preuves il faudrait que les êtres humains, les animaux ou les végétaux aient au préalable été exposés, à grande échelle, à des produits chimiques potentiellement dangereux. Le règlement européen REA CH, au contraire, place la charge de la preuve sur le fabricant : c’est lui qui doit démontrer que ses produits ne sont pas nocifs avant de recevoir une autorisation de mise sur le marché (principe de « pas de données, pas de marché »).
Une section traite du règlement des différends entre les parties au TTIP (c’est-à-dire entre l’UE et les Etats-Unis). Quand il s’agit de mesures de protection de l’environnement, les dispositions sur la désignation et les compétences des arbitres, l’accès aux conseils techniques et la participation de la société civile ou des communautés affectées présentent d’importantes lacunes, ne répondent pas aux objectifs que s’est fixés l’UE et ne sont pas à la hauteur des dispositions de l’OMC ni même de celles du controversé accord de partenariat transpacifique (TPP).
(Fin du résumé)
On sait par ailleurs que le mécanisme arbitral (ISDS) proposé par les Américains pour régler les différends entre les investisseurs et les Etats a provoqué une levée de boucliers de la société civile en Europe, obligeant la Commission européenne à présenter sur la table des négociations une version comportant des aspects plus proches de la pratique judiciaire européenne.
La fuite par Greenpeace du texte de ce document coïncide avec une opposition populaire grandissante au TTIP en Allemagne, malgré la position toujours favorable aux négociations du gouvernement allemand. Même les deux candidats aux primaires aux Etats-Unis, Donald Trump (Républicain) et Hillary Clinton (Démocrate) ont sévèrement critiqué le TTIP. Du côté du gouvernement français le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Matthias Feki, a déclaré : « Nous voulons de la réciprocité. L’Europe propose beaucoup et elle reçoit très peu en échange. Ce n’est pas acceptable…L’arrêt des négociations est l’option la plus probable ». Le Président Hollande a souligné : « Jamais nous n’accepterons la mise en cause des principes essentiels pour notre agriculture, notre culture et pour la réciprocité d’accès aux marchés publics ».