Wolfgang Schaüble, ministre allemand des finances et lauréat 2012 du prix Charlemagne, qui récompense des personnalités ayant œuvré en faveur de l’unité européenne, s’est à nouveau prononcé cette semaine, à Aix-la-Chapelle, en faveur d’une élection au suffrage direct du président de l’Union européenne et, plus généralement, d’un renforcement et d’une « légitimation démocratique » des institutions européennes, seule de nature à emporter l’adhésion des peuples : « L'unité politique en Europe a besoin d'un visage. (…) Nous devons créer une union politique maintenant. Nous avons besoin d'institutions européennes fortes. (…) Lors des prochaines élections législatives européennes, les partis devraient présenter un candidat qui, dans le cas d'une victoire électorale, pourrait ensuite être accepté par les dirigeants des gouvernements nationaux comme président de la Commission. » Wolfgang Schaüble estime par ailleurs que la Commission européenne devrait devenir un « gouvernement européen ».
Le Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, dans son éloge du lauréat a déclaré de son côté que « Wolfgang Schäuble appartient à ces classiques qui pensent que ce qui est bon pour l'Europe est bon pour leur pays, que ce qui est mauvais pour l'Europe est mauvais pour leur pays ».
Ce n’est pas la première fois que ces deux personnalités font montre d’un tempérament europhile.
Pourquoi gâchent-ils le tableau en faisant également montre, sans restriction ni commentaire, d’une fâcheuse allégeance aux « marchés » ?
Les deux hommes, qui sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la discipline budgétaire et la rigueur, semblent avoir intégré la soumission aux « marchés » comme une règle de conduite intangible et durable.
Le 12 février 2010, Jean-Claude Juncker déclarait (au quotidien Libération), à propos de la pression des marchés financiers sur la situation économique de la Grèce : « Si les marchés mettent en cause la crédibilité de la démarche grecque, des mesures additionnelles devront être prises ». En clair : la Grèce, et avec elle l’Union Européenne, prend ses ordres auprès des marchés.
Quant à Wolfgang Schaüble, il vient d’accompagner ses déclarations en faveur d’un renforcement des institutions européennes de l’argument suivant : « Nous devons œuvrer à ce que les marchés financiers gardent confiance dans la monnaie unique ». Est-ce aussi de cette manière qu’il compte « emporter l’adhésion des peuples » ?
Que, dans l’urgence et sous la pression, on soit bien obligé de tenir compte des réactions des marchés financiers, on peut le comprendre, encore que le mieux eut été que nos gouvernants, de démissions en abandons, ne nous livrent pas ainsi corps et biens à un maître sans visage et sans âme : le « marché ».
Mais que l’on se réfère à eux pour justifier des évolutions institutionnelles, qui s’inscrivent nécessairement dans le domaine politique et dans le long terme, voila qui est au minimum maladroit et pour tout dire inquiétant.
Il se trouve que Wolfgang Schaüble a confirmé, cette même semaine, son intérêt pour la présidence de l’Eurogroupe, qui rassemble les ministres des Finances de la zone Euro. Jean-Claude Juncker, qui aura occupé la fonction de 2005 à juin 2012, est favorable à cette candidature. Si la démocratie gagne du terrain au sein de l’Union européenne, comme Wolfgang Schaüble semble le souhaiter, il faudra rappeler à celui-ci que la règle du jeu ne peut pas être : « les marchés d’abord et les citoyens ensuite ».
En attendant, c’est avec des déclarations de ce genre qu’on alimente l’europhobie d’une partie de l’opinion.
Exemple : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/gouvernement-europeen-il-a-ose-116924