Lu sur Cyber @cteurs (15 avril 2015) :
" Après avoir échoué à faire adopter l’amendement sur le secret industriel de la loi Macron, le gouvernement français, aidé d’autres gouvernements de l’Union européenne, soutient actuellement une proposition de législation européenne allant dans ce sens. On essaie de faire passer par la fenêtre ce qui n’est pas passé par la porte.
En novembre 2013 la Commission européenne a publié son projet de directive relative au secret des affaires. Ce projet, dont l’examen au Parlement européen débute en mai prochain, menace les droits fondamentaux et fait primer les profits des multinationales sur les intérêts sociaux, environnementaux et démocratiques. Le but affiché de la directive est la production d’une définition commune du secret des affaires pour assurer que la compétitivité des activités européennes et des organismes de recherche, - basée sur le savoir-faire et sur des informations non révélées - soit correctement protégée.
Cette directive est dangereuse à plusieurs titres. D’abord, la définition du secret des affaires est large et floue et concerne toutes les informations confidentielles. Ensuite, l’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues, quelque soit la diffusion qui en serait faite et quel que soit l’objectif de cette diffusion.
Alors que les enjeux de cette directive sur les droits individuels et collectifs des salariés sont considérables, elle ne relève pas du dialogue social européen. Par conséquent, ni les organisations syndicales, ni les ONG n’ont été formellement consultées sur la question.
Eurocadres, de nombreuses organisations syndicales nationales et ONG ont pourtant, depuis le début de la procédure, émis de nombreuses réserves qui n’ont pas été entendues, notamment sur la mobilité des travailleurs, la fragilisation des représentants du personnel, des lanceurs d’alerte et de la liberté de la presse.
Dans la vie quotidienne, cette directive peut limiter la mobilité des salariés en leur imposant des clauses de non concurrence les empêchant d’utiliser leurs savoir-faire auprès de leur nouvel employeur. De même, pour ce qui concerne l’exercice des droits syndicaux des représentants des travailleurs, l'acquisition et la révélation de « secrets d’affaires » ne sont pas exclus du champ de l’acquisition illégale.
Choix stratégiques, projets de cession ou de reprise, PSE, délocalisation, activité dans les filiales et sous-traitance, utilisation des aides publiques…, nombreux sont les élus et syndicalistes courageux qui communiquent aux salariés voire à la presse ces informations pour contrer les pratiques abusives des actionnaires. Avec ce projet de directive, lanceurs d’alerte, syndicalistes et journalistes travaillant au service de l’intérêt général risquent désormais d’être poursuivis par la justice.
Le droit à la liberté d'expression et d’information pourrait être sérieusement affecté. Aucune exception générale n’est prévue dans le texte pour protéger l’action des journalistes d’investigation, des organisations de la société civile ou encore des lanceurs d’alerte, alors que leur travail est indispensable dans une démocratie moderne digne de ce nom. Aucune exception non plus sur les droits fondamentaux, en particulier en matière de santé et d’environnement.
Les fameuses « données à caractère commercial » qui seraient protégées par le secret des affaires, et dont la divulgation serait passible de sanctions pénales, relèvent très souvent de l’intérêt général supérieur pour le public. Ce fut le cas, par exemple, pour les montages fiscaux et financiers négociés entre plusieurs grands groupes et l’administration fiscale du Luxembourg (cf. scandale Luxleaks), ou pour les données d’intérêt général relatives à la santé publique, obtenues notamment lors des essais cliniques organisés par les laboratoires pharmaceutiques (des données qui auraient pu véritablement sauver des vies). C’est également le cas pour toute une série de données liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs dans le secteur de l’industrie chimique et qui seraient dans leur globalité considérées comme secrètes, et soustraites ainsi à toute transparence.
Enfin, la directive européenne prévoit en cas de procédure devant les juridictions civiles ou pénales une restriction de l’accès au dossier ou aux audiences, avant, pendant ou après l’action en justice pour protéger le secret des affaires. Il s’agit d’une grave remise en cause de l’égalité devant la loi - l’ensemble des parties n’ayant plus accès au dossier - et de la liberté d’informer. D’ailleurs la publicité des débats judiciaires est protégée par la Constitution de nombreux Etats membres de l’Union européenne.
Le gouvernement français, après avoir essayé d’anticiper l’adoption de la directive, a été contraint de reculer face à la mobilisation et de reconnaître que le secret des affaires menaçait la liberté d’expression dans et en-dehors de l’entreprise. Pourquoi ce qui est vrai en France ne le serait pas à l’échelle européenne ? Nous faisons appel aux députés et gouvernements européens pour qu’ils revoient leur copie.
On pourrait considérer comme nécessaire et légitime de protéger les opérateurs économiques face à la concurrence déloyale, certainement pas de soustraire une telle masse d'informations de toute forme de débat public et du champ de la transparence. Nous refusons la criminalisation du travail des lanceurs d’alerte, des syndicalistes et des journalistes. Stoppons les menaces contre la transparence et la démocratie contenues dans cette directive européenne Secret des affaires ! "
un texte de l'Association Européenne pour la Défense des Droits de l'Homme