Le " Flash économie " n° 64 de Natixis (16 janvier 2014) aborde une question cruciale pour l'évolution du système économique mondial dans les mois et années à venir : quels seront les effets de l’énorme quantité de monnaie créée par les Banques Centrales ?
Extraits :
" Depuis la seconde moitié des années 1990, la quantité de monnaie du Monde a crû considérablement, sous l’effet des politiques monétaires répétitivement expansionnistes dans les pays de l’OCDE à chaque crise et sous l’effet aussi de l’accumulation de réserves de change dans les pays émergents et au Japon. Dans ces deux cas, il s’agit d’une création de monnaie de Banque Centrale (de base
monétaire), de liquidités créées par les Banques Centrales en contrepartie soit de l’achat d’actifs financiers domestiques (politiques monétaires expansionnistes), soit de l’achat d’actifs financiers en devises (accumulation de réserves de change).
Le résultat de ces politiques est un niveau extraordinairement plus élevé que dans le passé de la liquidité mondiale, (qui atteint 27% du PIB), avec la perspective que ce niveau au mieux se stabilise avec des politiques monétaires plus restrictives mais pas qu’il se réduise nettement. Il est essentiel d’analyser les conséquences de cette hausse permanente et considérable du ratio entre la
liquidité mondiale (la base monétaire) et le Produit Intérieur Brut du Monde.
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Nous remarquons d’abord que les politiques monétaires ultra-expansionnistes s’auto-entretiennent. Elles génèrent dans les pays de l’OCDE (autres que le japon) l’excès d’endettement et les hausses excessives des prix des actifs : bulle sur les prix des actifs à la fin des années 1990, bulle sur les prix de l’immobilier et excès d’endettement des ménages de 2002 à 2008. L’éclatement des bulles et les récessions dues à l’excès d’endettement sont corrigés par des politiques monétaires encore plus expansionnistes.
L’abondance de liquidité conduit aussi à une hausse impressionnante de la taille des flux de capitaux internationaux. Lorsque ces flux de capitaux conduisent à l’appréciation des taux de change des pays émergents (2003 à 2008 par exemple), ces pays réagissent en accumulant des réserves de change pour limiter l’appréciation de leur devise, d’où une nouvelle création de liquidité. La création de monnaie (de Banque Centrale) appelle donc la création de monnaie aussi bien dans les pays de l’OCDE que dans les pays émergents. Même si les Etats-Unis réduisent leur création monétaire (le « tapering »), il reste les autres sources de création monétaire : Japon, émergents, exportateurs de pétrole.
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La réaction naturelle est de penser qu’une liquidité mondiale surabondante va conduire à la croissance rapide du crédit et en conséquence de l’inflation. Effectivement, dans la seconde moitié des années 1990 et de 2002 à 2007, la réponse à l’expansion monétaire a été une forte progression du crédit. Mais nous pensons que pour de nombreuses années ceci ne va plus être le cas.
D’une part, le niveau élevé de l’endettement mondial, aussi bien dans les pays de l’OCDE que dans les pays émergents, conduit à un besoin de désendettement qui implique que même les politiques monétaires très expansionnistes ne font pas repartir le crédit. Le crédit mondial augmente nettement moins vite qu’avant la crise de 2008. D’autre part, il faut se rappeler qu’au niveau mondial il y a une très forte déformation du partage des revenus en faveur des entreprises et au détriment des salariés qui reflète la perte nominale de pouvoir de négociation des salariés. La faiblesse chronique des salaires par rapport à la productivité exclut maintenant le retour de l’inflation mondial.
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Si la hausse très forte de la liquidité mondiale rapportée au Produit Intérieur Brut mondial d’une part est durable, d’autre part ne conduit ni au retour du crédit ni au retour de l’inflation, que va-t-elle impliquer ? La conclusion normale est qu’elle va conduire à une hausse durable du prix des actifs par rapport au niveau compatible normalement avec la situation de l’économie réelle.
Ceci veut dire qu’il faut s’attendre pour de nombreuses années à une valorisation des actions (à des PER) élevés, à des taux d’intérêt réels anormalement faibles par rapport à la croissance, à des prix de l’immobilier anormalement élevé, à des primes de risques (souveraines, bancaires, d’entreprise) anormalement basses (elles reculent fortement depuis 2012).
Le Monde va se situer dans une « économie de bulle » sur les prix des actifs, avec une liquidité mondiale rapportée à la production anormalement élevée, d’autant plus, on l’a vu, que la création de liquidité, par les désordres qu’elle crée, appelle une nouvelle création de liquidité, et qu’elle ne fait apparaître aujourd’hui ni crédit, ni inflation. "
Autrement dit : pas de rééquilibrage des revenus au profit des salariés, pas d'expansion du crédit productif, peu ou pas d'inflation (qui serait pourtant un moyen d'alléger la charge de l'endettement public et de redonner des degrés de liberté aux Etats) mais, une fois de plus, des bulles spéculatives potentiellement dévastatrices.
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