En France, en matière d’énergie, c’est le débat sur le nucléaire qui occupe le devant de la scène. Le PS, qui avait déjà pris une position « molle » sur ce sujet pendant la campagne présidentielle, affiche sa désunion avec la déclaration récente d’Arnaud Montebourg, soutenu par Manuel Valls : « le nucléaire est une filière d’avenir ». Sous-entendu : les opposants à la filière sont des passéistes, des rêveurs. La vérité est que ce sont les pro nucléaires qui sont des rêveurs. Tant que l’on ne saura pas sécuriser l’énergie nucléaire, que ce soit en phase de production, de démantèlement ou de traitement des déchets, il est illusoire de penser que nous sommes à l’abri d’accidents dramatiques.
La sécurité nucléaire totale n’existe pas en l’état actuel des connaissances et technologies. Certains se sont rassurés en soutenant que Tchernobyl était le résultat d'une gabegie coupable, mais Fukushima est ensuite survenu dans un pays réputé pour sa technologie et son organisation.
Se satisfaire d’un degré « élevé » de sécurité revient à jouer avec les statistiques, dans un domaine où l'on ne devrait pourtant laisser aucune place au hasard. Concrètement, cela veut dire que si l’équipement est soumis à un évènement qui dépasse les seuils retenus, une catastrophe peut survenir. De tels calculs sont admissibles lorsque les dégâts prévisibles sont circonscrits à un petit périmètre. Ils ne le sont plus dans le cas des risques nucléaires.
En outre, ce niveau de sécurité supposé nous rassurer ne peut en pratique être maintenu que si tout un ensemble de conditions sont remplies : capacité financière à investir dans la conception, la fabrication et la maintenance des équipements ; organisation sans faille de l’exploitation. Rien de tout cela ne peut être garanti en tous temps et en tous lieux. Les privatisations soumettent les décisions à des arbitrages dans lesquels le profit a nécessairement sa part ; les crises soumettent les ressources publiques à de rudes contraintes ; elles peuvent entrainer le délitement ou le dévoiement des organisations et des pouvoirs (l'histoire abonde d'exemples en ce sens). Encore ne parlons-nous pas ici des risques de terrorisme et de prolifération de l’arme nucléaire. Rester assis sur ce volcan en arborant un sourire confiant n’est pas un signe de santé mentale.
Le temps des technocrates et des politiques se vit, pour la majorité d'entre eux, au rythme court des carrières et des élections. Le temps du nucléaire se compte lui en dizaines et centaines d'années, au cours desquelles bien des bouleversements peuvent survenir. Nous léguons les déchets "HAVL" (Haute Activité et Vie Longue) à quelques centaines de générations à venir. Le site http://www.dechets-radioactifs.com/defi-science-technique.html, de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, fournit une bonne illustration du discours lénifiant qui nous est servi par la technostructure du nucléaire. Sous le titre " Le défi de la science et de la technique " (tiens, c'est donc un défi ? ...), on y apprend que " De nombreuses recherches et études sont conduites pour concevoir des stockages pour les déchets les plus radioactifs ou ayant de longues durées de vie. Compte tenu de leur nature, ces déchets doivent être stockés dans des installations souterraines construites jusqu'à plusieurs centaines de mètres de profondeur. L'enjeu : construire, exploiter et surveiller des centres de stockage souterrains et garantir leur sûreté à de telles profondeurs et sur des échelles de temps très longues... "
Qui peut prétendre savoir ce que seront les conditions environnementales, sociales, politiques à de tels horizons de temps ? Est-il admissible de raisonner en " enjeu " et de jeter des " défis " en pareille matière (fissile) ? Se rend-on compte que nous laissons ainsi à d'autres - nos successeurs sur la planète - le soin de relever ces défis ?
Les risques liés au nucléaire sont particulièrement impressionnants et médiatiques. On sait moins que la course aux ressources énergétiques vient aussi en concurrence avec les ressources alimentaires et hydrauliques de la planète.
Une guerre sournoise est en cours pour le partage des terres et de l’eau : au bénéfice de la production énergétique ou au bénéfice de la production alimentaire.
Elle se manifeste principalement sous deux formes : les agrocarburants et le gaz de schiste.
Les agrocarburants (abusivement qualifiés de biocarburants), qui contribuent très largement à la poursuite de la déforestation de la planète, détournent également des millions d’hectares de terres arables de la production agricole. Selon l’ONG Oxfam, ce sont 230 millions d’hectares (environ 4 fois la superficie totale de la France et 8 fois la surface de ses terres agricoles) qui auraient ainsi été convertis par des investisseurs depuis 2001 dans le monde. Les agrocarburants sont en outre extrêmement voraces en eau.
En ce qui concerne les gaz de schiste, Le Monde du 24 août nous apprend que, aux USA, « les sociétés de forage recherchent désespérément les milliers de mètres cubes d’eau nécessaires à la fracturation de la roche, ce qui les oppose maintenant aux fermiers qui essaient de conserver leurs précieuses ressources hydrauliques. »
La crise économique et financière a fait passer au second plan le débat environnemental.
A ce rythme, si les risques nucléaires nous épargnent, nous finirons affamés et assoiffés, mais largement pourvus de carburants pour nos véhicules climatisés.
Cet article est paru sur Le Monde.fr du 6 septembre 2012