A ce propos, un contraste frappant :
- d'une part la volonté politique et l'inventivité dont les gouvernants européens ont fait preuve dans le passé en réponse aux crises de la construction européenne,
- d'autre part les années perdues d'inertie, l'attentisme actuel comme si, sourds et hypnotisés par une catastrophe pressentie, les gouvernants étaient incapables de rendre espoir aux citoyens européens en construisant ensemble ( à quelques-uns pour commencer ) la pièce budgétaire du meccano institutionnel dont le manque a embourbé la construction européenne.
Ces paroles, parmi d'autres, doivent être entendues des élus et futurs élus.
Transcription de morceaux choisis de :
https://www.franceculture.fr/emissions/ ... -leconomieQuestion d'Olivia Gesbert :
Vous pensez qu'on peut encore revitaliser cette démocratie européenne ?
Réponse de M. Aglietta :
Il est faux de dire que c'est, lors de la crise, l'euro qui a posé les problèmes en tant que tel : la Banque Centrale Européenne a été ce qui a permis de sauver l'essentiel dans la période cruciale 2011-2012.
Mais avoir une puissance publique monétaire ne suffit pas …
Les crises de l'Europe ont déjà été extrêmement violentes. Jusqu'à présent, elle a réussi …
Ce n'est pas par hasard [qu'est] venu l'euro : il est venu de la crise considérable des années 70, passant par l'intermédiaire ensuite de l'invention du Système Monétaire Européen qui en était en quelque sorte l'antichambre, et permettant par la monnaie en effet de [pallier] les limites de la ''méthode communautaire''.
Mais [la crise] a continué et la possibilité existait, d'une certaine manière, de réaliser une union politique suffisante pour pouvoir faire fonctionner toute les potentialités de l'euro …
Ce sont les allemands, par l'intermédiaire du président de la CDU Lammers, qui dès 1994 ont dit aux français
"nous allons faire une sorte de gouvernement économique commun avec des réunions de Conseil des ministres tous les mois etc … pour aller jusqu'à l'euro'',
[c'était] fin 98,
''et puis si cela fonctionne, on va l'expérimenter, nous allons attirer les autres dans le cadre du noyau que représente la zone euro vis à vis de l'Europe".
Aucune force politique française ne l'a même considéré ! Que ce soit la gauche, la droite etc … C'est à dire : souveraineté exclusive.
Alors souveraineté nationale exclusive, plus une construction européenne qui a maintenant plus de 60 ans, en effet aboutit à une situation de contradiction qui devient extrême.
Notre proposition, c'est de dire qu'il est possible, de la même manière qu'on a été capable de faire une puissance publique monétaire, de réaliser une puissance publique budgétaire qui a un rôle bien délimité (…) qui renforce les souverainetés nationales.
En effet, si vous améliorez la croissance de l'ensemble de l'Europe, vous favorisez tous les mécanismes de stabilité qui aujourd'hui ne marchent pas, et vous permettez en partie d'avoir des stabilisations plus symétriques ...
Les allemands seraient assurés qu'on a créé des institutions qui contrôlent le budget agrégé de la zone euro, et qui le rendent beaucoup plus contracyclique, comme on dit, c'est-à-dire fonction de ce qui se passe dans le monde.
Alors que les règles budgétaires actuelles sont indépendantes de cette situation : c'est pour cela qu'elles n'ont pas fonctionné en 2010, c'est-à-dire que la situation économique ne permettait pas aux règles telles qu'elles existaient d'être observées par les pays.
J'étais membre du Haut Conseil des Finances Publiques, je sais bien qu'à chaque fois, les gouvernements et la Commission européenne présentaient un PIB [Produit Intérieur Brut] qui était supérieur à celui qu'il pouvait être, et donc à ce moment-là l'effort budgétaire qu'on calculait sur un faux PIB entraînait les drames qu'on a eus ensuite et les conflits entre les pays.
Donc, pour éviter cela, il faut un mécanisme de stabilisation qui permette aux différents pays d'être vraiment membres d'un ensemble.
C'est-à-dire qu'une Agence budgétaire commune détermine au début du semestre européen la procédure qui va jusqu'aux lois de finances : elle définit correctement les conditions de croissance qu'on peut attendre, et à partir de cela, elle définit un budget agrégé possible ( et cela, on ne l'a pas, on n'a pas une notion de budget agrégé ... [descendant] au niveau du partage entre États, d'où les drames entre les différents pays ).
Si vous faites cela et ensuite qu'elle donne des éléments pour partager le budget ( c'est-à-dire à qui revient l'effort ), si l'Allemagne sait que ceci est intégré dans une procédure institutionnelle qui empêche un dérapage général des pays, elle peut l'accepter plus facilement et vous pouvez avoir plus de coopération entre les nations pour le niveau de partage des responsabilités …
La notion de budget renvoie à une puissance publique, c'est-à-dire à un souverain qui est capable de lever l'impôt et de s'endetter au nom du collectif considéré, et cela participe à la citoyenneté, (…) donc en effet, cela suppose un Parlement de plein exercice.
Et c'est bien là l'intérêt : il s'agit , au niveau de la stabilisation de court terme des budgets nationaux, de redonner une importance au rôle aux Parlements ( qu'ils n'ont plus) et de créer une souveraineté de Parlement au niveau supérieur, d'où l'idée de double démocratie emboîtée …
Il faut qu'à un moment donné il y ait un pacte qui peut-être ne concernera pas la totalité des pays ...
Il est possible que ce soit une stratégie de club qui devra fonctionner de cette manière-là : des clubs ouverts, avec intégration progressive dans la mesure où ça va ...
De la même manière qu'en 1984 il y a eu entre Mitterrand et Kohl une relation relation très importante à partir [de laquelle] s'est refondée l'Europe ( mais sur le plan financier à l'époque ), il faut que [celle-ci] se refonde aujourd'hui, mais sur le plan budgétaire et cela suppose en effet un accord de ''leaders principaux'', si j'ose dire, qui puisse créer ce phénomène-là. Ceux qui ne voulaient pas se dessaisir de leur pouvoir de Parlement seraient amenés à le faire …
Les puissances publiques peuvent jouer un rôle crucial dans le monde qui arrive des États-continents, [or, si rien n'était fait] l'Europe n'existerait plus à l'échelle internationale, et on aura besoin de reconstituer certainement un Système Monétaire International avec le déclin du dollar sur le plan de sa force d'intégration ( même si le dollar s'apprécie beaucoup, cela ne veut pas dire qu'il intègre le monde ).
Et l'Europe n'existerait plus si elle n'était pas suffisamment unifiée politiquement, et c'est crucial …
Le président élu français et probablement la Chancelière, et d'autres ( l'Italie…) doivent absolument refabriquer un pacte lié à une Conférence (…) où on refonde véritablement quelque chose, et le faire ensuite proposer à l'ensemble, et repartir avec un nouveau Traité.
De toute façon, sans un nouveau Traité, on ne peut rien faire.
Donc c'est bien un nouveau Traité qui est crucial.