Le CETA et le TAFTA en eaux troubles
En juillet 2016, la Commission européenne, à la demande notamment de la France et de l’Allemagne qui voulaient que leurs parlements respectifs soient impliqués dans le processus d’approbation, a donné son accord pour considérer le projet de traité commercial entre le Canada et l’UE (le CETA) comme étant de nature « mixte », donc relevant en partie des compétences nationales et non seulement européennes. Sans cette qualification, le CETA, dont les négociations touchent à leur fin, aurait été approuvé uniquement au niveau européen par le Conseil et le Parlement européens. A la suite de cette décision de la Commission, les Parlements nationaux et régionaux de l’UE auront à se prononcer sur l ‘accord. En Belgique, une réforme constitutionnelle donne depuis 2014 aux six Parlements des entités fédérales le pouvoir de s’opposer à la signature et la ratification des accords commerciaux les concernant. Cette semaine, le Parlement de la Wallonie, malgré les pressions qu’on imagine de la structure européenne bruxelloise, a mis son veto à la signature du CETA.
Dans un article de « Libération » du 22/23 octobre 2016, le correspondant du journal à Bruxelles, Jean Quatremer, cite le ministre président de la Wallonie Paul Magnette : « Nous ne bloquons pas pour le plaisir, mais parce que nous sommes dans un moment de rupture ou face à un saut qualitatif comme l’histoire de la démocratie en a connu…La question est de savoir quelle mondialisation nous voulons…Nous devons aller au bout des choses pour fixer des standards de très haut niveau ».
Le journaliste commente : « Sans la négociation du TAFTA » ou TIPP (accord commercial Etats-Unis/UE), « il est probable que le CETA …serait passé comme une lettre à la poste. Mais le mastodonte américain a fait prendre conscience à une partie sans cesse croissante des opinions publiques européennes des risques, justifiés ou non, que font peser ces accords sur leur modèle social, sanitaire et environnemental ».
Dans un entretien accompagnant l’article, l’économiste André Sapir, chercheur à l’Institut d’études économiques Breugel, professeur d’économie à l’Université libre de Bruxelles et ancien conseiller économique auprès du Président de la Commission européenne, commente :
« Le CETA et le TAFTA sont des traités de libre-échange dits de « nouvelle génération » … Ils vont au-delà de l’aspect commercial puisqu’ils englobent toutes les questions de réglementations, en matière de travail , de standards, etc. Ses opposants craignent qu’à travers cet accord il y ait une tendance de remettre en cause et de réécrire des réglementations européennes existantes. Le deuxième volet d’opposition concernent les cours d’arbitrage … Une multinationale pourra attaquer un Etat si elle estime que sa rentabilité a été affectée par une décision réglementaire. Les opposants au CETA craignent, en outre que des filiales d’entreprises installées au Canada profitent de cette procédure. Finalement … il est légitime de se demander s’il y a un danger à ce que le champ réglementaire de nos Etats et de l’UE soit restreint par ces accords commerciaux… ».
A la question : « Quels effets économiques attendre de ce type de traité ? » il répond : « Selon (certains économistes) moins il y aurait de protection, plus on permettrait une organisation efficiente de la production… Cette forme de libre-échange réduirait les prix et permettrait au consommateur d’avoir d’avantage de choix… Mais cela peut se révéler, notamment avec le CETA, négatif pour les agriculteurs (qui) vont se retrouver en concurrence avec les producteurs canadiens… Le libre-échange ne produit pas automatiquement que des gains. Il y a des pertes, il y a des coûts liés à des ajustements ».
A la question : « Pourquoi le Canada suscite moins d’inquiétude que les Etats-Unis ? » il répond : « Le Canada n’est pas un pays immense. Et mis à part son agriculture, son tissu économique n’est pas très différent de celui de l’UE … Il est difficile de comprendre l’opposition que suscite le CETA sans le mettre dans le contexte des Etats-Unis. Pour les opposants, le CETA est le cheval de Troie du TAFTA. Or avec le TAFTA, on a deux puissances réglementaires, l’UE et les Etats-Unis, qui sont globalement de même taille. On ne pourra pas imposer aux Etats-Unis notre philosophie réglementaire, ni vice-versa. Par exemple, est-ce-que le CETA et le TAFTA pourraient remettre en cause le principe de précaution inscrit dans le traité de Lisbonne ? Sur les OGM, l’approche que nous avons ne permet pas d’importer un certain nombre de produits américains du fait du principe de précaution mais cela pourrait changer. »
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