Abandonner l’euro ?
Dans une tribune parue d’abord sur le site politico.eu, puis dans le Libération du 13 décembre 2016, Miguel Otero-Iglesias, Economiste au Elcano Royal Institute (Madrid) et chercheur associé à l’Essca School of Management (Paris), s’inscrit en faux contre l’opinion dominante anglo-saxonne. Extraits :
« L’euro a été et demeure une très mauvaise idée, c’est en tout cas, ce que s’accordent à dire les économistes britanniques et américains. Que ce soit à droite avec Martin Feldstein, au centre avec Mervyn King, ou à gauche, avec Paul Krugman et Joseph E. Stiglitz, le verdict est unanime : l’union monétaire européenne a été une grosse erreur et il faut la démanteler… »
« Quoi de plus facile pour ceux qui vivent hors de la zone euro de montrer du doigt les taux élevés de chômage en Italie, Grèce et Espagne et de les mettre sur le dos du carcan de la monnaie unique. Or, plus des deux tiers des citoyens de la zone euro - même ceux qui vivent dans les pays les plus frappés par la crise - tiennent à conserver la monnaie unique. Prenez la Grèce. En automne 2005, seuls 46% des Grecs soutenaient l’euro. Dix ans plus tard, après avoir été deux fois au bord du Grexit, situation douloureuse et humiliante s’il en est, ce chiffre a grimpé à 70%. Les Grecs, comme d’autres européens du Sud, savent bien que les problèmes auxquels ils sont confrontés sont d’origine nationale. A leurs yeux, sortir de l’euro ne ferait qu’empirer les choses ».
« Des deux côtés de l’Atlantique, l’opinion générale est formelle : si la zone euro survit à sa prochaine crise, elle devra acquérir à l’avenir une capacité budgétaire commune – des euro-obligations, un budget commun, un ministère des Finances pour la zone monétaire soumis au contrôle démocratique pertinent ».
« Mais tout le monde n’est pas d’accord pour dire que ces mesures sont applicables sur le plan politique. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, spécialistes et experts estiment généralement que les possibilités que l’Allemagne accepte une union de transfert et que la France renonce à sa souveraineté budgétaire sont extrêmement faibles. Et de conclure, par conséquent, qu’il est temps de se faire à l’idée de l’échec de l’euro et d’entamer une procédure de divorce ».
L’auteur résume ensuite, à titre d’exemple, la proposition de Stiglitz dans son ouvrage « L’euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe », pour permettre à la Grèce de sortir de la zone euro. Il poursuit : « Ces propositions ignorent le fait que le Portugal, l’Espagne le Grèce et l’Italie ayant beaucoup lutté pour rentrer dans le club riche et démocratique de la zone euro, elles ne vont pas y renoncer si facilement. Certes l’euro présente des défauts structurels qu’il faut corriger, mais il a été un pilier de stabilité pendant la crise, et on ne peut pas dire autant des institutions nationales… ».
« L’idée de créer « deux euros », un pour les pays du Nord et un pour les pays du Sud, selon la proposition des lauréats du prix lord Wolfson, n’est pas applicable (parce que) la France, qui se trouve juste en plein milieu, ne rejoindra jamais une union avec ses voisins du Nord, champions de la productivité, et n’osera jamais se séparer de l’Allemagne pour prendre la tête des pays du Sud, moins productifs ».
«L’Allemagne ne sortira pas non plus de l’euro, contrairement à ce que suggèrent Stiglitz et King, car quel chancelier souhaiterait rester dans l’histoire comme le leader ayant donné le coup de grâce au projet européen ? Angela Merkel l’a dit lors de la dernière crise : si l’euro échoue, c’est toute l’Europe qui échoue… »
« La rupture de la zone euro serait synonyme d’un retour de la « tyrannie » du mark allemand, comme dans les années 80, ce qui reviendrait à raviver le spectre du « problème allemand ». Et c’est cela, et non l’euro, qui constituerait une menace pour l’Europe…
« Ce n’est pas l’euro qui a créé les tensions nationales que l’on constate en Europe à l’heure actuelle. Il les a juste mises sur le devant de la scène en mettant à nu les interdépendances au sein du continent. Supprimez la monnaie unique et on assistera à un relâchement des liens qui unissent les Européens et à un renforcement du nationalisme ».
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