La seule « sortie de gauche » de l’euro, c’est l’expulsion !
C’est sous ce titre que Thomas COUTROT (« économiste atterré » et membre du conseil d’administration d’ATTAC) esquisse sur son blog abrité par Mediapart le 11 septembre 2015, une stratégie de changement dans la construction européenne.
En voici des éléments :
L’expérience de la confrontation du gouvernement Syriza aux institutions européennes et la défaite du 13 juillet 2015 ont donné un tour beaucoup plus concret au débat stratégique qui traverse la gauche et les mouvements sociaux européens. Avec le tsunami financier qui a démarré en Chine et s’avance vers nous…., ce débat ne pourra que gagner en actualité. Aujourd’hui se confrontent trois orientations stratégiques principales :
1. « approfondir l’union politique » en créant un « gouvernement économique européen » avec un parlement de la zone euro… et une capacité budgétaire réelle. Hollande, Moscovici mais aussi Schäuble se sont prononcés en ce sens, mais une version de gauche existe (PCF ou Syriza) qui vise une réforme bien plus profonde des Traités.
2. La « sortie de l’euro » pour… rompre avec l’austérité et restaurer sa souveraineté économique (position défendue par l’aile gauche de Syriza – maintenant Unité Populaire).
3. « désobéir pour reconstruire » : mettre en œuvre des mesures unilatérales même contre l’avis des institutions européennes. Mais celui qui met en application cette stratégie devra en même temps batailler pour réformer la zone euro dans l’intérêt des peuples, quitte à en être finalement exclu contre son gré.
Cette troisième voie est plus complexe à énoncer mais c’est précisément parce que elle seule répond à la complexité du réel :
• refuser l’Europe néolibérale
• chercher à reconstruire une union politique sur d’autres bases
• s’appuyer pour ce faire sur les dynamiques démocratiques réelles, qui à l’heure actuelle opèrent principalement au plan national.
… Face à la violence des institutions européennes, ceux qui refusent la désobéissance se condamnent à la soumission. Mais, ceux qui prônent la sortie de l’euro comme geste fondateur d’une politique alternative condamne l’Europe à l’éclatement sans retour.
… Renoncer au projet européen serait irresponsable. Confrontée aux trois défis majeurs que lui pose le capitalisme pourrissant (les inégalités intra et internationales, les migrations et le réchauffement climatique), l’humanité ne pourra se préserver que par une étroite coopération mondiale. Celle-ci ne sera possible sans la constitution de blocs continentaux.
… Même si la construction d’un mouvement social continental est une contribution essentielle au projet européen alternatif… cela ne suffira pas à construire une communauté politique. Ceci suppose la confrontation des mouvements et des citoyens aux institutions européennes.
… Les gouvernements progressistes en Europe auraient dans ce processus une responsabilité essentielle… préparer et poser au moment opportun des actes unilatéraux – un plan « B » ou plutôt une série de mesures graduées (portant a minima sur la monnaie, la fiscalité, la dette, les banques) qui donnent des marges de manœuvre pour tenir le plus longtemps possible face à l’étranglement financier orchestré par les institutions et les marchés, puis pousser au maximum les négociations avec les institutions et aiguiser leur contradiction et rechercher le soutien et la contagion dans les autres pays européens. Complexe, certes, mais quel autre scénario permettrait-il de dépasser la désynchronisation des rythmes politiques nationaux pour rendre enfin palpable un projet démocratique européen ?
… La crise chinoise va durement frapper l’Allemagne dans les années à venir et remettre en cause à la fois ses excédents commerciaux et son consensus politique. Le choc de la prochaine crise financière pourrait faciliter la synchronisation des conjonctures politiques en Europe et la recherche d’alternatives solidaires, à condition que les mouvements sociaux et la gauche radicale s’y emploient.
Dans la stratégie de désobéissance, celle-ci est légitimée par la violence des institutions que la négociation fait apparaître au grand jour aux yeux d’électeurs nationaux et de citoyens européens pas forcément convaincus a priori. Les oligarchies peuvent couper les liens financiers et expulser les pays récalcitrants. Mais elles risquent de favoriser une mobilisation solidaire… La seule « sortie de gauche » de la zone euro, c’est l’expulsion pour catalyser une contagion démocratique européenne.
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