Citoyens unis d'Europe - Solidarité et démocratie

Sous le titre « Sans Domicile Fisc » publié le 8 septembre 2016 aux éditions du Cherche Midi, les frères Bocquet , Alain et Eric (respectivement député et sénateur du Nord communistes), chargés de commissions d’enquête parlementaires parallèles sur les paradis fiscaux, décrivent comment les multinationales provoquent par leurs pratiques fiscales un sérieux problème démocratique.

En préambule à un entretien avec eux paru le 7 septembre 2016 dans « Libération », la rédaction du journal rappelle quelques chiffres : pour la France, « on estime le manque à gagner dû à l’évasion fiscale entre 60 et 80 milliards d’euros alors que les recettes du budget de la République sont de 300 milliards pour 2016. Une perte à comparer avec la trentaine de milliards d’euros de recettes de l’impôt sur les sociétés, ou encore avec les 73 milliards de déficit budgétaire annoncé pour cette année. Au plan européen, ce manque à gagner devient astronomique : 1000 milliards d’euros ! A l ‘échelle mondiale, entre 21 et 32 milliers de milliards de dollars, selon une estimation de l’ONG Tax Justice Network… mais qu’attendent les pouvoirs publics ? …Ils préfèrent se concurrencer… quitte à se contenter de quelques miettes du festin financier planétaire ».

Extraits de l’entretien :

« C’est en visitant les fameux Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) qu’on prend réellement conscience de la puissance qu’ils exercent sur la gestion du monde. Ces grands groupes martèlent qu’ils veulent « améliorer le sort de l’humanité » ou « changer le monde pour le rendre meilleur », et font simultanément tout pour ne pas payer le moindre impôt. Elles se substituent aux États. L’exemple de la décision choc que Bruxelles a rendue la semaine passée et qui confirme qu’Apple a bénéficié, en Irlande d’aides illégales, est édifiant … Cette multinationale s’est tournée vers les États-Unis en disant « banco », qu’elle voulait bien y rapatrier ses 250 milliards de bénéfices, mais à des conditions fiscales acceptables. Que signifie acceptable, lorsqu’on sait qu’Apple a payé 0,05% en Irlande pendant plusieurs années ? Ce qui a donc coûté 13 milliards de pertes fiscales aux irlandais. Une somme avec laquelle on peut se payer vingt hôpitaux… »

« Ces puissances financières sont en train de dessiner le monde de demain. Un monde sans États, puisqu’ils perdent à chaque fois un peu plus de leur capacité à lever l’impôt, ce ciment de nos sociétés. Si nous n’y prenons pas garde, cette fuite en avant … va vite poser un problème démocratique… »

Cependant, « le climat a changé. Même le G20 inscrit régulièrement cette question à l’ordre du jour…Mais les révélations viennent de la société civile, des lanceurs d’alerte, les ONG ou encore les journalistes. Les politiques ne font que suivre, preuve qu’ils ont perdu du pouvoir ».

« Il faut une vue globale. Aujourd’hui l’OCDE a une partie du dossier en main. Son travail et celui du Forum fiscal sont des réalités concrètes qui ont le mérite d’exister. La tâche reste cependant incomplète. On avance, mais tout le chantier qui touche à la finance de l’ombre, au « shadow banking » , à l’évasion via les trusts n’est pas traité ».

« Nous proposons la tenue d’une conférence mondiale, une COP dédiée à la fiscalité, sous l’égide des Nations-Unies, débouchant sur des engagements contraignants pour chacun des États membres. A fléau planétaire, gouvernance mondiale pour mettre la finance au service des peuples et du développement».

Si cette idée a peu de chance de se réaliser dans un avenir proche, l’avoir lancé est déjà un premier geste.