Federica Mogherini sur les enjeux de la crise des réfugiés
La Haute Représentante de l’UE pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité et Vice Présidente de la Commission a accordé un entretien à Libération, paru le 16 septembre 2015.
Extraits :
« Contrairement à ce que certains pensent, il ne s’agit pas seulement d’une crise européenne : c’est en réalité une crise régionale due notamment aux conflits en Syrie et en Iraq et qui touchent au premier chef la Turquie, la Jordanie, le Liban mais aussi l’Irak et l’Egypte. C’est aussi une crise globale car il y a infiniment plus de personnes qui se déplacent…entre les pays non européens que vers les pays européens. L’Union a les moyens de faire face à cette crise. D’une part en aidant les pays voisins de la Syrie à faire face à cet afflux comme elle le fait déjà avec une aide de quatre milliards d’euros sur les quatre dernières années. D’autre part en accueillant un certain nombre de ces réfugiés, la situation des pays riverains devenant insoutenable. Cela vaut pour l’Europe, mais aussi pour la communauté internationale.
Sur les quelque cinq millions de réfugiés ayant fui la Syrie, 98% se trouvent dans les pays limitrophes. Cette année, 430 000 réfugiés syriens sont arrivés dans l’Union qui compte…500 millions d’habitants. L’Europe n’est donc pas submergée : actuellement, sa population ne compte que 0,1% de réfugiés. Des pays comme la Turquie ou le Liban ont fait infiniment plus que ce que nous sommes prêts à faire. Ayant dit cela,…la première destination que désirent rejoindre les réfugiés…c’est l’Union… L’Europe est un espace accueillant et attirant, ce que nous avons du mal à percevoir en interne après plusieurs années de crise économique et sociale. Si une partie des Européens est mécontente de l’Union actuelle, il n’en reste pas moins qu’elle fascine le reste du monde…
Lorsque certains responsables politiques ont commencé à parler de réfugiés et non plus d’immigrés, cela a contribué à faire évoluer l’opinion. Les mots sont importants…Il faut que nous, Européens, prenions nos responsabilités sur le plan intérieur, notamment en acceptant de répartir la responsabilité de l’accueil et le traitement obligatoire des demandes d’asile que propose la Commission. C’est seulement si nous sommes crédibles à l’intérieur que nous le serons à l’extérieur…
Il sera très difficile d’aller expliquer au Moyen-Orient qu’il faut respecter les droits des minorités si l’on a des discours et des pratiques discriminatoires à l’intérieur de l’Union. Nous sommes perçus comme les champions des droits de l’homme, ce qui nous impose une cohérence des messages politiques et des décisions…Si nous n’accueillons pas ces victimes du terrorisme…quel message leur enverrons-nous, ainsi qu’au reste du monde ? Il ne s’agit pas de bons sentiments, il s’agit aussi d’investir dans notre sécurité en se montrant accueillant. Si ces réfugiés sont coincés entre l’Etat islamique et le régime d’Al-Assad…et des pays qui les repoussent, croit-on que ce sera le meilleur moyen d’empêcher le développement des mouvements terroristes dans la région et en Europe ?... Si on pense qu’on peut fermer les yeux sur la crise et qu’elle peut être gérée par des pays tiers et qu’on peut se contenter de les aider financièrement, on prend le risque de déstabiliser ou de radicaliser la Turquie, le Liban et la Jordanie, des pays où les réfugiés représentent jusqu’au tiers de la population. Et il n’y a pas que la crise syrienne : ainsi, la Tunisie accueille 1,5 millions de Libyens. C’est la sécurité de ces régions qui est en jeu et, par contrecoup, notre sécurité. Les effets d’une explosion du Liban ou de la déstabilisation de la Jordanie seraient terribles : terrorisme, vague de réfugiés et immigration économique. Nous devons anticiper et investir dans la stabilité de ces pays…
Cela n’aurait guère de sens pour un aspirant terroriste de se présenter comme réfugié alors que ses empreintes sont automatiquement enregistrées dans le fichier Eurodac. Ils ont des filières bien plus sûres. De plus, tous les attentats qui ont eu lieu en Europe ont été commis par des citoyens européens ou des résidents de longue date…
Il faut…une mobilisation mondiale. La Norvège a aussi » (= comme la France) « proposé d’organiser une conférence sur le soutien aux réfugiés syriens, mais dans le cadre de l’ONU. Il est utile de s’inscrire dans ce cadre, puisque la plus grande partie de l’action repose déjà sur le travail extraordinaire du Haut Commissariat aux réfugiés, une agence de l’ONU majoritairement financée par l’Union…Surtout, cela permettra une vrai mobilisation internationale, car la solution passe par une approche globale »
Cette crise « se produit à un moment clé, au lendemain de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran qui ouvre une fenêtre diplomatique, celle d’un dialogue possible entre les différents acteurs. Je soutiens les initiatives de l’envoyé spécial des Nations-Unies qui appelle à la mise en place d’un groupe de contact international sur la Syrie. L’Iran peut jouer un rôle constructif dans la crise syrienne et on peut espérer réunir les acteurs régionaux comme l’Iran, les monarchies du Golfe, la Turquie, avec les Etats-Unis et la Russie , dans un cadre international. Bien sûr, l’UE va jouer un rôle clé…L’idée d’un groupe de contact international peut aider : il pourrait pousser les acteurs syriens à trouver un terrain de compromis…L’Europe et la communauté internationale doivent faire comprendre à tous les acteurs régionaux que leur propre intérêt est de stabiliser la Syrie et de combattre l’Etat islamique. »