« La crise grecque montre que nos systèmes politiques sont autistes »
Sous ce titre « Libération » du mercredi 8 juillet 2015 publie un interview du professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau. En voici quelques extraits :
« La crise ouverte par la tenue du référendum grec révèle une crise profonde de l’organisation politique de l’Europe : il n’existe aucune institution où les citoyens puissent prendre la parole. Ce qui impose aux Européens une situation anormale : l’avenir politique de l’Union se joue dans un face-à-face entre le Parlement allemand et le peuple grec….Le Parlement européen aurait dû s’imposer et dire : « Cette crise est politique avant d’être économique. Au nom des Européens qui nous ont élus, nous étudierons les propositions faites aux Grecs et nous rendrons un avis ».
A la question «Le référendum était –il une bonne manière de faire rentrer le peuple dans le jeu politique européen ? », il répond : « Je ne crois pas. Le résultat du vote de ce week-end confirme l’idée qu’un référendum est moins le moyen de l’expression directe du peuple qu’un instrument tactique utilisé par ceux qui le décident….Ce référendum avait tous les défauts de ce genre de consultation : la question posée était incertaine….et la campagne de huit jours a réduit l’espace de l’argumentation au profit des réactions émotionnelles. C’était ….un plébiscite pour ou contre Tsipras….Il y a une ambiguïté consubstantielle au référendum national. Les citoyens sont souvent dépossédés de la signification de leur vote, car, à la fin, ce sont les représentants politiques qui disent : « Voilà ce qu’a voulu dire le peuple ». Le « non » français de 2005 signifie-t-il « volonté souverainiste » ou « volonté d’une autre Europe » ? Ce sont les représentants qui se battent pour imposer la lecture « légitime » du résultat. Le non grec signifie-t-il « sortie de l’euro » ou « reprise des négociations pour rester dans l’euro » ? ….
« Cette crise montre que nos systèmes politiques, nationaux comme européens sont à bout de souffle. Ils sont autistes….puisque le principe de ces systèmes c’est : «Les représentants parlent et les représentés se taisent ». Tous les instruments actuels, y compris le suffrage universel, dépossèdent en réalité le peuple de son pouvoir en légitimant la parole de ses représentants et donc le silence des représentés. Au niveau européen comme au niveau national, on voit le peuple comme un mineur politique qui aurait besoin d’un tuteur…. »
Pour Dominique Rousseau « la forme «Etat » ne correspond plus au moment historique. L’Etat a perdu son territoire, puisqu’en Europe, il n’y a plus de frontières. Il a aussi perdu son peuple, avec l’émergence d’un peuple européen : l’affaire grecque, par exemple, n’est pas une affaire qui nous est extérieure ou étrangère. Dimanche soir, une conscience européenne est née parce que les Européens ont attendu ensemble, ont vécu ensemble, ont réagi ensemble aux résultats du référendum, qui n’était plus une opération électorale grecque mais une opération électorale intérieure à l’Europe. La Grèce fait bien partie du « nous européen ».
Au référendum national Dominique Rousseau préfère les conventions de citoyens. « Je propose l’institutionnalisation des conventions de citoyens tirés au sort, et réunis autour d’une question faisant débat dans la société. Obligation serait faite aux gouvernements de les convoquer avant toute loi d’importance. Ces citoyens auditionneraient des experts et remettraient un avis » au parlement « qui aurait l’obligation de s’en saisir….Les citoyens lanceurs d’alerte, à l’origine de beaucoup de modifications législatives, doivent être protégés par la Constitution. C’est le principe de ce que j’appelle « la démocratie continue », par opposition à la démocratie représentative : la démocratie ne s’arrête pas aux dimanches électoraux. Il faut prendre les citoyens au sérieux. »
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