Alors que le rapport de la dette publique sur le PIB atteint aujourd'hui 180% en Grèce contre 146% en 2010 et que le PIB a baissé de 25% sur la même période, on entend de plus en plus de critiques sur la manière dont les memoranda ont été imposés à la Grèce et sur les résultats calamiteux qui en découlent.
I. Cela a commencé dès 2015 par les réserves exprimées par le FMI sur les modalités de sauvetage de la Grèce par l'Europe. Position il est vrai très ambigüe puisque la même institution avait dû quelque peu interpréter ses statuts pour accorder son aide à la Grèce en 2010. Son règlement prévoit en effet qu'elle ne peut soutenir un pays si celui-ci est insolvable. C’était et cela reste le cas de la Grèce qui ne s'en sortira pas sans une restructuration de sa dette.
Le FMI s’était rallié à la position européenne qui ne pouvait tolérer un abandon de la dette grecque qui aurait mis à mal les banques françaises et allemandes, grandes pourvoyeuses de prêts à un pays depuis longtemps insolvable. En 2016 encore, ce même FMI s'était mollement opposé à l'excès de rigueur demandé par l'Allemagne révélant ainsi les dissensions en son sein.
De plus, institutions européennes et FMI sont imprégnés de cette croyance quasi mystique dans les bienfaits du libéralisme et des solutions qui le favorisent. L'école de Chicago avait pu s'essayer en Amérique Latine dans les années 1970 avec les conséquences que l'on connait au moins sur le plan humanitaire et celui des droits de l'homme. Les récentes condamnations des tortionnaires argentins s'en font écho. La constance de la Troïka à vouloir imposer ses réformes contre les choix démocratiques du pays relève bien de la même idéologie: imposer les méthodes ultra-libérales chaque fois que c'est possible et surtout sans l'assentiment démocratique.
Enfin, il fallait laisser du temps pour que ces dettes, fruits de l'inconséquence et de la corruption régnant en Grèce et de l’irresponsabilité des banques françaises et allemandes puissent être transférées de ces mêmes banques vers les pays et donc les contribuables. C'est chose faite à présent selon le saint principe de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes.
II. Pendant toute cette période commençant en 2010, certains journalistes se sont impliqués dans l'analyse critique de ce processus (voir les nombreux articles de Romaric GODIN en particulier).
III. En 2017 est paru l'ouvrage de Yanis VAROUFAKIS intitulé "Adults in the room. My battle with Europe's deep establishment". On connait le rôle joué par cet universitaire grec devenu ministre des finances du premier ministre TSIPRAS en 2015. VAROUFAKIS est tout sauf un gauchiste au couteau entre les dents. Ses propositions de 2015, lors de l'implantation du 3éme mémorandum, n'avaient rien de révolutionnaires et auraient dû parvenir à faire changer en profondeur les institutions grecques et le fonctionnement du pays en le ramenant progressivement à l'équilibre. Il décrit dans son ouvrage comment il s'est heurté à Jeroen DIJSSELBLOEM le président de l'Eurogroupe et Wolfgang SCHAÜBLE le ministre des finances allemand véritable patron de l'Euro sur fond de menace de la BCE de mettre les banques grecques à genoux. C'est d'ailleurs cette dernière menace, finalement mise à exécution, qui a fait plier le gouvernement TSIPRAS. Il est par ailleurs édifiant de voir le rôle joué par les deux dirigeants cités plus haut alors que ni l'Eurogroup ni l'Allemagne ne font officiellement membres de la Troïka. Il est vrai aussi que les personnalités du Président Jean-Claude JUNCKER ou de son Commissaire aux affaires économiques et monétaires, à la Fiscalité et à l'Union douanière Pierre MOSCOVICI ne sont pas de nature à imposer une solution et on voit que l'UE est de plus en plus une Union monétaire, non achevée mais qui convient bien, telle qu'elle est, aux pays qui y font la loi.
IV. La Cour des comptes Européenne vient enfin de publier un rapport extrêmement critique sur la gestion de la crise grecque par la Troïka.
La Cour des comptes contrôle les comptes de l’Union européenne et de tout organisme créé par celle-ci (sauf exception prévue par l’acte de fondation de l’organisme concerné).
Elle présente chaque année au Parlement européen un rapport sur l’exercice financier de l’année écoulée. C’est sur cette base que le Parlement approuve ou non la gestion du budget par la Commission.
Elle s’assure de la fiabilité des comptes, de la légalité et de la régularité des recettes et des dépenses et de la bonne gestion financière. Le contrôle peut s’effectuer sur place auprès des institutions de l’Union, de ses organismes ou dans les États membres bénéficiant d’une aide de l’UE.
La Cour dispose aussi de compétences consultatives. À la demande d’autres institutions, elle peut émettre des avis sur la législation financière et sur la lutte contre la fraude.
La Cour peut aussi présenter ses observations à tout moment par l’intermédiaire de rapports spéciaux.
La Cour des comptes siège à Luxembourg. Elle a été instituée par le traité de Bruxelles du 22 juillet 1975, et est entrée en fonction en octobre 1977. Elle a été élevée au rang d’institution européenne le 1er novembre 1993, lors de l’entrée en vigueur du traité de Maastricht (Définition tirée du site "Vie publique").
La cour a entendu les membres de la Troïka à l'exception de la BCE qui s'est réfugiée derrière le secret bancaire en refusant de donner des informations. Or le Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne dans son protocole N° 4 de 2012 stipule en son article 27.2 que:
"Les dispositions de l'article 287 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'appliquent uniquement à un examen de l'efficience de la gestion de la BCE." et l'article 287 de renvoi est formulé comme suit:
"Tout document ou toute information nécessaire à l'accomplissement de la mission de la Cour des comptes est communiqué à celle-ci, sur sa demande, par les autres institutions de l'Union, par les organes ou organismes gérant des recettes ou des dépenses au nom de l'Union, par les personnes physiques ou morales bénéficiaires de versements provenant du budget et par les institutions de contrôle nationales ou, si celles-ci ne disposent pas des compétences nécessaires, par les services nationaux compétents. […].
En considérant que l'audit ne portait pas sur l'efficience de sa gestion, la BCE s'est habilement défilée. Encore un pas vers la transparence......
Le texte de synthèse des conclusions de la cour se trouve ci dessous avec en rouge les critiques et en vert les aspects positifs relevés. Encore faut-il noter que le désastre social et médical engendré par ces plans ne fait pas l'objet d'une évaluation !
Synthèse
À propos du présent rapport
I Nous nous sommes intéressés à la gestion, par la Commission européenne, des trois programmes d’ajustement économique en faveur de la Grèce, en tenant compte de la structure institutionnelle des différents instruments d’assistance financière utilisés. En ce qui concerne le programme en cours, l’audit a porté uniquement sur la manière dont il a été conçu. Le premier programme, lancé en 2010 dans le cadre du mécanisme de prêt à la Grèce, a été financé à hauteur de 110 milliards d’euros, le deuxième, lancé en 2012 au titre du FESF, à hauteur de 172,6 milliards d’euros et le troisième, lancé en 2015 au titre du MES, était doté de 86 milliards d’euros. La Grèce avait toujours besoin d’un soutien financier extérieur à la mi-2017 et nous avons constaté que les objectifs des programmes n’ont été atteints que dans une mesure limitée. Globalement, la manière dont les programmes ont été conçus a permis aux réformes de progresser en Grèce, mais nous avons constaté des faiblesses. Nous adressons plusieurs recommandations à la Commission pour les futurs programmes d’aides.
À propos des programmes d’ajustement grecs
II Après son passage à l’euro, la Grèce a connu une expansion économique alimentée par un accès facile à l’emprunt et par une politique budgétaire généreuse. Mais la crise financière mondiale de 2008-2009 a révélé les vulnérabilités du pays: des déséquilibres macroéconomiques grandissants, une dette publique et une dette extérieure très élevées, une faible compétitivité extérieure, un régime de retraite non viable et des institutions fragiles. Conjugués aux révélations sur les fausses déclarations concernant les statistiques officielles, ces facteurs ont sapé la confiance de la communauté internationale. En avril 2010, les taux d’emprunt imposés à la Grèce sur les marchés financiers étant devenus prohibitifs, le pays s’est tourné vers les États membres de la zone euro et le FMI pour demander une assistance financière.
III Le premier programme d’ajustement économique en faveur de la Grèce a été adopté en 2010 et prévoyait un financement de 110 milliards d’euros. Cependant, ni les mesures budgétaires et structurelles prises ni la restructuration de la dette opérée en 2012 n’ont suffi pour permettre au pays d’emprunter de nouveau sur les marchés. Deux autres programmes ont donc été adoptés, l’un doté de 172,6 milliards d’euros, en 2012 et l’autre, de 86 milliards d’euros, en 2015.
IV Les programmes d’ajustement visaient à traiter le problème des déséquilibres économiques en Grèce, afin d’éviter que la crise économique grecque se propage dans le reste de la zone euro. Ils avaient pour finalité d’instaurer une situation économique et financière saine et durable dans le pays et de rétablir la capacité de celui-ci à se financer intégralement sur les marchés. L’aide était soumise à des conditions en matière de politiques, définies d’un commun accord par les autorités grecques et les créanciers. Ces conditions concernaient la quasi-totalité des fonctions de l’État grec et répondaient à trois grands objectifs: la viabilité budgétaire, la stabilité financière et la reprise de la croissance. La Commission européenne était chargée de vérifier que la Grèce respectait ces conditions et d’en rendre compte.
V La Commission a géré les programmes d’ajustement en liaison avec la Banque centrale européenne et au nom des créanciers européens, à savoir les États membres de la zone euro pour le premier programme, le Fonds européen de stabilité financière pour le deuxième et le Mécanisme européen de stabilité pour le troisième.
Comment avons-nous réalisé notre audit?
VI Nous avons examiné si la Commission avait géré les programmes d’ajustement en faveur de la Grèce de manière satisfaisante. Nous nous sommes notamment posé les questions ci-après.
La Commission disposait-elle de procédures adéquates pour gérer les programmes?
Les conditions en matière de politiques à mener ont-elles été définies de manière appropriée et appliquées efficacement?
Les principaux objectifs des programmes d’ajustement ont-ils été atteints?
VII En vertu du mandat de la Cour, qui l’autorise à examiner l’efficience de la gestion de la BCE, nous avons cherché à évaluer la participation de cette dernière aux programmes d’ajustement économique grecs. Cependant, la BCE ayant contesté le mandat de la Cour à cet égard et ne nous ayant pas fourni suffisamment d’éléments probants, nous ne sommes pas en mesure de faire rapport sur le rôle joué par la BCE dans les programmes grecs.
Qu’avons-nous constaté?
VIII Lorsque le premier programme en faveur de la Grèce a été lancé, la Commission ne possédait aucune expérience de la gestion d’un tel processus. Des procédures ont été mises en place près d’un an plus tard, mais elles étaient centrées sur les dispositions formelles relatives à l’approbation des documents, aux flux d’informations et au calendrier des déboursements. Il n’existait pas de lignes directrices internes spécifiques de la Commission sur la manière de définir concrètement les conditions des programmes, par exemple en ce qui concerne leur champ d’application ou leur niveau de détail. Malgré leur nombre croissant, les conditions des deux premiers programmes n’étaient pas correctement classées en fonction de leur importance relative et ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une stratégie plus large pour le pays. La Commission a mis en place un système opérationnel pour vérifier si elles étaient respectées, mais nous avons constaté des faiblesses lourdes de conséquences, notamment en matière d’évaluation de la mise en œuvre des réformes structurelles.
IX En dépit de la complexité des dispositions institutionnelles prévues par les programmes, les modalités opérationnelles de la coopération entre la Commission et les partenaires des programmes, à savoir, pour l’essentiel, le FMI et la BCE, n’ont jamais été formalisées.
X Le cadre économique général régissant la conception des programmes reposait sur les calculs relatifs au déficit de financement et sur des projections macroéconomiques. La Commission a régulièrement actualisé son analyse à cet égard et le degré de précision des projections était comparable à celui observé dans d’autres organisations internationales. Nous avons toutefois constaté que la documentation, la justification des hypothèses qui sous-tendent les projections et les contrôles de la qualité présentaient des faiblesses.
XI Une analyse approfondie de la manière dont les réformes ont été conçues et mises en œuvre dans quatre domaines de politique économique (fiscalité, administration publique, marché du travail et secteur financier) livre un tableau contrasté. Les réformes de la fiscalité et de l’administration publique ont permis de réaliser des économies budgétaires, mais la mise en œuvre des volets structurels a été moins satisfaisante. La flexibilité et la compétitivité ont été renforcées sur le marché du travail, tandis que d’autres changements réglementaires sont toujours en cours au titre du troisième programme. Le secteur financier a connu une restructuration importante[/color], mais celle-ci a nécessité l’injection de 45 milliards d’euros dans le système bancaire, dont une petite partie seulement pourrait éventuellement être recouvrée. Dans tous ces domaines de politique économique, un certain nombre de réformes clés ont enregistré des retards importants ou se sont avérées inefficaces.
XII. Globalement, la manière dont les conditions ont été définies a permis de faire avancer les réformes, mais nous avons constaté des faiblesses. Certaines mesures de premier plan n’ont pas été suffisamment justifiées ni adaptées en fonction des faiblesses propres aux différents secteurs. Pour d’autres mesures, la Commission n’ayant pas pleinement tenu compte des capacités de mise en œuvre de la Grèce lors de l’élaboration des conditions, elle n’en a pas adapté la portée et le calendrier en conséquence. Nous avons également constaté que certaines conditions avaient une portée trop limitée pour permettre de combler les déséquilibres affectant des secteurs clés, et que des mesures de correction de déséquilibres majeurs avaient été intégrées tardivement dans les programmes.
XIII La Commission n’a pas procédé à une évaluation complète des deux premiers programmes, alors que les résultats d’une telle analyse auraient pu utilement servir à adapter le processus de réforme. À la mi-2017, la Grèce avait toujours besoin d’un soutien financier extérieur, ce qui indique que les programmes précédents, notamment en raison de lacunes au niveau de la mise en œuvre, n’ont pas permis de rétablir la capacité du pays à emprunter sur les marchés pour financer ses besoins. Les objectifs spécifiques des programmes n’ont été atteints que dans une mesure limitée
reprise de la croissance: le PIB s’est contracté de plus d’un quart pendant la durée des programmes et la Grèce n’a pas renoué avec la croissance en 2012 comme cela était envisagé au départ;
viabilité budgétaire: les effets de l’assainissement budgétaire de grande ampleur sur les soldes structurels sont manifestes. Mais le taux d’endettement par rapport au PIB a continué à augmenter en raison d’évolutions macroéconomiques défavorables et de la charge des intérêts sur la dette existante;
stabilité financière: les programmes ont permis d’assurer la stabilité financière à court terme, mais pas d’éviter une nette détérioration des bilans des banques, principalement due à des évolutions macroéconomiques et politiques défavorables, et la capacité des banques à financer l’économie réelle s’en est trouvée réduite.
Quelles sont nos recommandations?
XIV La Commission européenne devrait:
1. améliorer les procédures d’élaboration, notamment en définissant l’étendue de tous les travaux analytiques nécessaires pour justifier le contenu des conditions;
2. mieux classer les conditions par ordre de priorité et préciser quelles mesures s’imposent d’urgence pour corriger les déséquilibres qui doivent impérativement l’être pour pouvoir atteindre les objectifs des programmes;
3. à chaque fois que cela est nécessaire pour traiter le problème des déséquilibres économiques sous-jacents, veiller à ce que les programmes s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie globale de croissance pour le pays;
4. mettre en place des procédures claires et, le cas échéant, définir des IPC permettant de garantir que le suivi des programmes est systématique et correctement documenté;
5. remédier plus globalement et dès le départ aux lacunes en matière de données;
6. s’efforcer de parvenir à un accord avec les partenaires des programmes afin que les rôles et les modalités de coopération soient définis clairement et en toute transparence;
7. mieux documenter les hypothèses qui sous-tendent les calculs économiques sous-jacents à la conception des programmes, ainsi que les modifications apportées à ces calculs;
8. analyser plus systématiquement la capacité administrative de l’État membre à mettre en œuvre les réformes et la nécessité d’une assistance technique, et adapter les conditions en fonction des résultats de cette analyse;
9. renforcer ses travaux analytiques concernant la conception des programmes. Elle devrait, en particulier, étudier l’opportunité et le calendrier des mesures en tenant compte de la situation dans laquelle se trouve l’État membre;
10. réaliser une évaluation intermédiaire pour les programmes successifs dont la durée combinée dépasse trois ans et se servir des résultats pour en évaluer la conception et les modalités de suivi;
11. déterminer quel cadre d’appui et de surveillance approprié peut être mis en place pour la période suivant la fin du programme.