De Claude Bartolone, sur Radio J, le 6 octobre 2013 :
" Je suis europhobe-Barroso. C'est évident que, par rapport à l'Europe que nous proposent M. Barroso et la Commission, telle qu'elle existe, je suis réellement europhobe. "
Cette formule à l'emporte-pièce résume un peu crûment une conviction exprimée plus à loisir dans l'ouvrage qu'il vient de faire paraître : " L'urgence européenne ", que la Fondation Jean Jaurès résume comme suit :
" Le salut de l’Europe viendra de la gauche et des réformistes
Après avoir évoqué le scénario d’une « abstention sanction » et d’un vote populiste aux prochaines élections européennes de mai 2014, Claude Bartolone souligne la responsabilité particulière de la France et des socialistes dans les actions à conduire pour démentir ce scénario catastrophe. Il resitue ses convictions européennes dans son histoire personnelle et son parcours politique. Il se présente comme un Européen sincère mais un Européen réaliste et exigeant. Il précise sa vision de l’Europe. Elle n’a de raison d’être qu’en tant que projet politique, ce qui requiert de surmonter la vision tout-économique de l’intégration européenne. Il n’y aura pas de grands soirs européens : l’Europe procède nécessairement par petits pas. Le redressement de l’Europe et celui de la France s’accompliront solidairement, à gauche et avec les ressources de tous les réformistes. Il appelle donc les militants socialistes à aborder en front uni la perspective des prochaines élections européennes.
Faire rentrer l’Europe dans le XXIe siècle
Ce chapitre explicite les raisons pour lesquelles l’Europe ne parvient pas à surmonter la crise. Cette crise revêt de multiples dimensions : économique, politique et de civilisation. Pour y faire face, l’Europe doit se constituer en tant que puissance globale sur la scène internationale et se doter des instruments pour réguler la mondialisation. Cependant l’Europe reste l’héritière de Maastricht et n’a pas évolué pour relever ces défis. Après l’Europe de la paix, l’Europe du marché intérieur et l’Europe réconciliée dans ses frontières historiques, la construction européenne manque d’un projet fédérateur pour le XXIe siècle. Ce projet doit s’articuler avec le contexte de l’économie mondialisée et des demandes des peuples pour une Europe plus démocratique et plus sociale. Il doit par ailleurs répondre à des enjeux inédits : la crise économique et financière qui secoue l’Europe depuis 2008 n’est pas une crise cyclique dont on sortira avec les solutions héritées du XXe siècle, mais une mutation qui place l’Europe devant le constat de la réversibilité des acquis sociaux obtenus au XXe siècle. Or on ne pourra pas défendre ces acquis au XXIe siècle avec les recettes du XXe siècle.
Briser le consensus de Bruxelles
Claude Bartolone situe le premier combat à mener par la gauche et les réformistes sur un plan idéologique : il faut battre en brèche le « consensus de Bruxelles » qui régente depuis des années la construction européenne. Les droites conservatrices, majoritaires en Europe, ont réussi à imposer cette dogmatique, qui est une synthèse du libéralisme anglo-saxon et de l’ordo-libéralisme allemand. Or le consensus de Bruxelles a non seulement échoué à faire renouer l’Europe avec la prospérité dans la crise économique et financière, elle l’a encore empêchée de se repositionner dans la mondialisation, en se dotant des outils pertinents pour la réguler et se protéger de ses excès, et en bâtissant par ailleurs une stratégie de croissance durable et solidaire. Le consensus de Bruxelles est aussi un obstacle à la construction d’une Europe plus politique, parce qu’il fait primer le « laisser-faire » au plan externe et le « gouvernement par les règles » au plan interne, qui tous deux fragilisent l’Europe et l’empêchent de s’armer face aux crises. Ce consensus de Bruxelles présente des similarités avec le consensus de Washington, le dogme des économistes néo-libéraux du FMI et de la Banque mondiale qui ont imposé dans les années 1990 et 2000 des programmes d’austérité et de déréglementation aux Etats asiatiques et latino-américains soumis aux programmes de ces organisations internationales.
La relation franco-allemande, toujours
Claude Bartolone souligne la centralité de la relation franco-allemande dans la construction européenne et la nécessité de compromis préalables entre la France et l’Allemagne pour donner des impulsions décisives à l’UE. La relation franco-allemande ne peut signifier l’alignement passif de la France sur l’Allemagne ou de l’Allemagne sur la France. Les deux pays ont sur certains points des divergences d’intérêts à surmonter : la protection de la rente pour l’Allemagne, dont la population est vieillissante, une politique d’investissements pour la France, comme l’exige sa démographie dynamique. Nos deux pays ont la capacité de surmonter ces divergences : par exemple instituer un SMIC européen, comme contrepartie légitime de la mobilité accrue des travailleurs dont profite actuellement l’Allemagne. Nos deux pays doivent conclure un nouveau pacte économique permettant de concilier les besoins de stabilité et d’investissement, de discipline et de croissance. Claude Bartolone met également en avant la particularité du contexte politique installé avec le retour de la gauche au pouvoir en mai 2012 : la France et l’Allemagne campent aujourd’hui la confrontation idéologique entre la droite conservatrice et la gauche progressiste. Il faut assumer cette confrontation et non pas l’entourer de tabous. Elle est un préalable à des compromis européens constructifs.
Vers une Europe politique et différenciée
Ce chapitre détaille les propositions institutionnelles de l’essai. Il met en évidence le « triangle d’incompatibilité » dans lequel est actuellement enfermée la construction européenne et propose des orientations pour en sortir par le haut. Il est en effet impossible de poursuivre simultanément les trois objectifs que se donne actuellement l’Union européenne : son élargissement à de nouveaux Etats membres, son approfondissement politique et le maintien de l’unanimité dans la prise de décision. Il faut tirer les conséquences de l’inertie d’une Union à 28 et franchir de nouveaux pas dans l’intégration politique. Ainsi il n’y aura pas d’Europe politique sans Europe différenciée, qui permet à un club de volontaires de se détacher du peloton européen pour expérimenter une intégration politique plus poussée (Europe du « premier cercle »). Cette Europe du premier cercle sera politiquement intégrée et se construira autour de la zone euro. Il faut progresser sur la voie d’un gouvernement économique européen doté d’un exécutif stable, d’un budget propre, d’une politique sociale et fiscale harmonisée. Ce gouvernement mis en place, il sera possible de négocier avec l’Allemagne la création d’eurobonds. Le gouvernement économique européen devra être complété par un versant parlementaire. L’exigence de légitimité démocratique des décisions implique notamment de s’orienter vers la création d’un « congrès des parlements nationaux ». Il faut par ailleurs consolider l’Union européenne à 28 en poursuivant l’élargissement de manière raisonnée et pragmatique, y compris en proposant un statut intermédiaire à la Turquie (« Deuxième cercle »). L’Europe doit également chercher à organiser ses relations avec son voisinage en diffusant les règles du marché intérieur et ses valeurs à sa périphérie Sud et Est (« Troisième cercle »). L’Europe doit ainsi se structurer en cercles d’influence concentriques, à l’échelle du continent, la seule pertinente dans la mondialisation. L’Europe doit rester un continent d’innovation politique au XXIe siècle.
Faire gagner l’Europe pour la réconcilier avec ses peuples
Ce chapitre aborde les propositions relatives à la gouvernance économique et monétaire de l’Union. Pour se redresser et répondre aux préoccupations de ses peuples, l’Europe a besoin d’une politique de relance européenne et d’un « New Deal pour l’investissement et l’innovation ». En matière de contrôle budgétaire, la priorité est d’abord de rendre les règles budgétaires intelligentes, flexibles dans le temps et adaptées aux situations nationales. La deuxième priorité est d’engager une harmonisation des politiques sociales par le haut. La troisième priorité est de conduire une harmonisation fiscale au service de l’économie réelle et de la justice. La quatrième priorité est de réduire les déséquilibres macroéconomiques des Etats membres par une politique monétaire appropriée, comportant une certaine dose d’inflation, et d’orienter par cette dernière les capitaux vers les investissements. La cinquième priorité est de négocier avec l’Allemagne une Europe de la solidarité, comprenant l’institution des eurobonds pour une mutualisation partielle des dettes.
Pour une Europe des biens communs
Dans ce dernier chapitre, Claude Bartolone évoque les propositions que les progressistes ont vocation à mettre en avant dans le cadre de la campagne des élections européennes de mai 2014. Elle se gagnera selon lui sur le terrain des « biens communs », ces domaines où l’Europe démontre sa plus-value et son utilité aux yeux des peuples européens. Quatre priorités devront être mises en avant : les grands projets européens en matière d’infrastructure, une politique industrielle capable de faire émerger des champions européens, la priorité à la recherche et à l’innovation, la transition énergétique qui sera un gisement de croissance et d’emplois. Il faudra orienter l’investissement vers ces projets par tous les moyens disponibles : politique budgétaire et monétaire, project bonds, mise en place d’un livret de développement durable européen, taxation des mouvements de capitaux spéculatifs notamment. "
On appréciera tout particulièrement la formule " Briser le consensus de Bruxelles ", qui fait bien sur référence au fâcheux " consensus de Washington " (Milton Friedman et consorts) cher aux partisans de l'ultralibéralisme.