Le Commissariat à l'énergie et à la prospective (C.E.P, service du Premier ministre, qui s’est substitué, en avril 2013, au Centre d’analyse stratégique) vient de produire une étude intitulée " L’impact investing pour financer l’économie sociale et solidaire ? "
Ce choc sémantique entre la novlangue ultralibérale - " impact investing " - et le concept d'économie sociale et solidaire m'a donné envie - et peur ! - d'en savoir plus.
Je cite l'introduction et la conclusion de ce rapport :
" Le secteur de l’économie sociale et solidaire est marqué par deux tendances : le développement d’une culture entrepreneuriale, caractérisée par l’essor d’entreprises sociales au côté des structures traditionnelles à but non lucratif, et une diversification de ses sources de financement, ce secteur faisant désormais davantage appel aux capitaux privés.
Pour alimenter les réflexions et les discussions engagées sur le financement de l’économie sociale et solidaire, en France mais aussi à l’étranger, ce document de travail présente les résultats d’une comparaison internationale réalisée sur un outil de financement original : l’impact investing. Désignant des investissements cherchant à conjuguer rendement financier et impact social, l’impact investing se distingue aussi bien de la finance traditionnelle, de la philanthropie, que de l’investissement dit « socialement responsable. (…)
Ce travail de comparaison internationale fait apparaître à la fois l’absence de consensus sur la définition de l’impact investing et l’intérêt des pouvoirs publics pour ces nouvelles formes de financement de l’économie sociale et solidaire. (…) L’exemple français suggère (...) l’importance de conserver l’implication d’une variété d’acteurs et de types de financements. C’est à ces conditions que le secteur de l’ESS évitera la constitution d’une bulle financière autour de l’impact investing, à la différence de ce qu’a connu le secteur de la microfinance, victime de son propre succès au début des années 2010. "
Nous voila donc en présence d'un nouveau gadget, sur lequel dissertent les analystes du C.E.P, sans trop y croire eux-mêmes semble-t-il :
- on apprend en effet que l’on ne sait pas trop en quoi consiste ce nouveau concept : " Ce travail de comparaison internationale fait apparaître (…) l’absence de consensus sur la définition de l’impact investing " ;
- mais cela ne diminue en rien : " l’intérêt des pouvoirs publics pour ces nouvelles formes de financement de l’économie sociale et solidaire. ", qui pourraient bien cependant nous préparer une nouvelle « bulle financière », comme cela a été le cas pour « la microfinance, victime de son propre succès au début des années 2010. »
Autrement dit : on ne sait pas ce que c’est et ça pourrait bien être dangereux, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le promouvoir …
Ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur ce qu’est l’Impact investing sont invités à lire le rapport du C.E.P. Mais seront-ils plus avancés quand on leur aura dit que « définir les contours de l’impact investing, (est) un enjeu de soft power. » ? Personnellement, j’en ai tout de même retenu qu’au Luxembourg « l’impact investing est perçu comme un nouvel instrument financier générateur de profits au bénéfice de l’attractivité de la place financière du Luxembourg ». Voila qui n’est guère de nature à nous rassurer sur la composante sociale de ce nouvel « instrument financier ». D’autant plus que, nous dit-on, « les structures (qui sollicitent un financement) sont paradoxalement invitées à présenter des perspectives de rentabilité élevées. Les attentes des investisseurs à cet égard peuvent atteindre 15-20 %, quand la rentabilité constatée d’un investissement dans une structure sociale s’échelonnerait plutôt de 0 à 5 %. » !
Ces tentatives pour introduire un peu d'éthique dans le sabbat financier sont parfois touchantes. Le problème est que, chaque fois qu'un concept " généreux " rencontre un peu de succès, il est récupéré par des spécialistes du marketing, qui s'en servent pour repeindre, en rose (social) et/ou en vert (écologique) la façade de leur entreprise, sans rien changer fondamentalement aux comportements. Le fait que, en France, le Crédit agricole et le Crédit mutuel aient fini par représenter le plus gros des effectifs statistiques de l'économie sociale et solidaire devrait suffire à illustrer cette entreprise de récupération.
Alain Minc, lorsqu'il a publié " l'argent fou " en 1990, a écrit " le capitalisme doit (...) trouver ses règles, l'argent sécréter ses contre-pouvoirs. " Pour lui, la solution était l’émergence d’une éthique au sein même des forces capitalistes : " A l'argent triomphant répond la réhabilitation de l'éthique ". Un petit quart de siècle s'est écoulé et on a vu ce qu'il en a été : la folie est là, l'éthique, non. Le contre-pouvoir interne dans un monde globalisé et dérégulé est un rêve ou une duperie.
Rappelons la mission du Commissariat à l’énergie et à la prospective, telle que la présente son site Internet : « Renouveler l’approche de la stratégie et de la prospective économique et sociale afin d’éclairer les pouvoirs publics sur les trajectoires à moyen et long terme pour la France en matière économique, sociale, culturelle et environnementale ». Ce fleuron des organismes conseils de notre gouvernement socialiste n’a rien de mieux à faire que de disserter sur les inventions marketing des « créatifs de la finance » ?
http://www.strategie.gouv.fr/content/dt-impact-investing-financer-economie