Comme tout Etat ayant ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), la France est tenue, tous les 5 ans, de rendre compte de l’effectivité de ses engagements internationaux et des actions entreprises pour la mise en œuvre de la CIDE.
Alors que les experts du Comité des droits de l’enfant étudient le cas de la France, l’UNICEF France publie, avec le soutien de ses partenaires, «Chaque enfant compte. Partout, tout le temps», une analyse du respect et des violations des droits de l’enfant en France, remise à cette instance des Nations unies.
L’UNICEF France, dont la mission est de veiller au respect de la CIDE vient d’être auditionné par le Comité des Droits de l’enfant à Genève. Il saisit cette opportunité pour mettre particulièrement en lumière les zones d’ombre de l’application de la CIDE en France, interpeller le gouvernement sur les progrès à réaliser et émettre des recommandations concrètes.
Ci-dessous, une synthèse succincte des principaux enjeux présentés par l’UNICEF France, dans son rapport alternatif, aux experts du Comité des Droits de l’Enfant des Nations unies :
1. Une gouvernance qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux et des ambitions de la France.
L’UNICEF France déploie depuis la dernière audition de la France auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies un plaidoyer très important pour la définition d’une politique nationale de l’enfance et de l’adolescence, ainsi qu’une stratégie globale nationale aux moyens coordonnés. La société civile et les institutions indépendantes irriguent les pouvoirs publics régulièrement avec des travaux de qualité pour une gouvernance renouvelée. Or cette stratégie globale pour l’enfance n’existe toujours pas. La multiplicité et l’action « en silo » des acteurs dans le champ de l’enfance entrainent un manque de visibilité et nuisent à l’efficacité des actions menées. L’absence d’indicateurs spécifiques et partagés, de mécanismes de suivi et d’évaluation ne favorisent pas l’efficience des politiques publiques en direction de l’enfance.
2. Des enfants vulnérabilisés durablement par la pauvreté.
Les enfants et les jeunes sont impactés de manière disproportionnée par la crise économique et beaucoup d’entre eux cumulent les inégalités (éducation, insertion sociale et professionnelle, santé) aux conséquences désastreuses pour leur avenir et celui de la société tout entière. Entre 2008 et 2012, 440 000 enfants supplémentaires ont plongé avec leurs familles sous le seuil de pauvreté en France.
La permanence d’un horizon précaire est une constante qui concerne désormais plus de 3 millions d’enfants sous le seuil de pauvreté, soit un enfant sur cinq. Le droit au logement, bien que constitutionnel et devenu droit opposable depuis 2007, met en défaut l’Etat au détriment de plus de 600 000 enfants qui grandissent encore dans des environnements délétères, voire à la rue.
3. L’éducation en France : un fossé inégalitaire persistant entre les élèves scolarisés, un véritable gouffre à franchir pour tant d’autres enfants qui n’y ont pas encore accès...
La Refondation de l’Ecole de la République en 2013 a réaffirmé le droit à l’éducation de tous les enfants et a définitivement promu une école inclusive. Pour autant, et malgré des initiatives multiples, beaucoup trop d’enfants restent encore sur le seuil des établissements scolaires ou même d’établissements spécialisés, sans solution éducative.
Le système éducatif quant à lui creuse singulièrement les inégalités entre les élèves et place la France dans les derniers rangs européens en matière de performance et d’efficience. Une mobilisation des pouvoirs publics à la hauteur des enjeux se dessine depuis 2013, notamment dans le domaine de l’éducation prioritaire qui peine jusqu’ici à produire des effets notables et à sortir de l’ornière bon nombre d’enfants laissés pour compte.
4. Des enfants et adolescents qui grandissent encore en bidonvilles, laissés pour compte...
De trop nombreux enfants et adolescents vivent en bidonvilles en France. Leur situation est particulièrement préoccupante. L’accès à leurs droits les plus fondamentaux est loin d’être assuré.
Malgré des initiatives multiples, notamment de la société civile, il n’y a toujours pas de réponse coordonnée assurant une protection minimale, un accès durable à l’éducation et à la santé pour ces enfants. Ils comptent pourtant parmi les plus vulnérables sur le territoire.
5. Des mineurs isolés étrangers encore traités comme des étrangers plutôt que comme des adolescents à protéger.
Les mineurs isolés étrangers (MIE) sont d’abord et avant toute chose des enfants et des adolescents qui sont seuls sur le territoire français, privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Au nombre de 8 000 à 10 000 (personne ne sait réellement combien ils sont), leur situation est préoccupante, à plus d’un titre, car ils comptent parmi les plus vulnérables. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance avait affirmé que la protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les MIE et d'assurer leur prise en charge.
Force est de constater que l’accès aux dispositifs de droit commun est semé d’embûches pour ces adolescents, encore trop souvent livrés aux réseaux de traite des êtres humains.
6. Un territoire national, des pratiques multiples.
La France, entre disparités, inégalités et discrimination.
La décentralisation a accentué les inégalités entre les enfants vivant en France métropolitaine comme ultramarine ; elle a engendré de fait des disparités importantes, incompatibles avec le plein respect de l’accès aux droits fondamentaux de tous les enfants, français ou étrangers, isolés ou vivant en famille.
En matière de prise en charge, de protection de l’enfance, d’accès à l’éducation, pour ne citer que ces exemples, l’UNICEF France s’inquiète de voir qu’un enfant sur le territoire national n’a pas accès aux mêmes services qu’un enfant vivant dans le département voisin. Cette remise en question de l’universalité des droits de l’enfant ne doit pas devenir un standard par défaut.
7. Protéger les enfants : un système plus qu’un projet.
La protection des enfants contre toute forme de violence n’est pas encore assurée en France.
Le droit à la protection est un droit fondamental des enfants et le premier devoir des adultes qui les entourent.
Assurer la protection des enfants contre toute forme de violence est également une responsabilité inhérente aux pouvoirs publics. Bien au-delà des missions assurées par les services départementaux de l’Aide Sociale à l’Enfance et du système global de protection de l’enfance, il s’agit d’une véritable mission régalienne qui peine encore à garantir aujourd’hui à tous les enfants en France, et en particulier aux plus vulnérables d’entre eux, une protection à la hauteur des violences, atteintes, brutalités, négligences, mauvais traitements ou encore exploitation qui les menacent bien trop souvent encore.
8. La justice des mineurs ne doit pas perdre de vue ses fondamentaux et doit regagner son rang.
La justice pénale des mineurs et l’abandon d’une réforme d’envergure (pourtant annoncée à maintes reprises), est un sujet de forte inquiétude et de déception. Le glissement de la justice des mineurs vers celle des adultes opéré dans les années 2000 est en contradiction avec les principes de la CIDE et l’esprit de l’ordonnance de 1945. Les tribunaux correctionnels pour mineurs, principal symbole de cette évolution regrettable, n’ont toujours pas été supprimés malgré les promesses gouvernementales. Par ailleurs, l’UNICEF France demande qu’un seuil de responsabilité pénale soit fixé (ce qui n’est toujours pas le cas), à l’âge le plus élevé possible, sans exception prévue et assorti d’un critère complémentaire de discernement.
9. Adolescents en France : le grand malaise.
Les chiffres concernant les pensées suicidaires, les tentatives de suicides, les addictions et les nombreux comportements à risques sont alarmants chez les adolescents en France. Selon la Consultation nationale des 6-18 ans menée par l’UNICEF France en 2014, l’idée du suicide concerne 28 % des 11 232 enfants et adolescents ayant participé à l’enquête, en particulier les filles, tandis que la tentative de suicide aurait été vécue par près de 11 % d’entre eux. Concernant les comportements à risques, plus de 41 % des plus de 15 ans disent consommer de l’alcool et avoir déjà été en état d’ivresse et près de 32 % consommer de la drogue ou fumer du cannabis.
Le dialogue entre les enfants et les adultes, pourtant sollicité par tous, a du mal à s’installer dans le quotidien et dans les différents lieux de vie des enfants. Pour autant, les pouvoirs publics ne semblent toujours pas avoir pris la mesure réelle des enjeux et peinent à accompagner jeunes et familles. L’écoute, la vigilance et la prévention doivent devenir enfin les priorités de tous.
10. La politique de développement international de la France entre ambition et réduction des moyens.
Outil de diplomatie et de rayonnement de l’Etat, la politique de développement joue un rôle fondamental dans la mise en œuvre des droits de l’enfant et l’atteinte des objectifs mondiaux en matière de réduction de la pauvreté, d’accès à la santé et à l’éducation, de réduction de disparités et de lutte contre les discriminations.
Si la France affiche une ambition politique louable en se dotant pour la première fois d’une loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI), les moyens de sa mise en œuvre sont préoccupants. En effet, 2015 marque la quatrième année consécutive de baisse de l’aide publique au développement. En contradiction avec les engagements de la France (0,7 % du RNB), cette dernière aura ainsi connu une diminution de 20 % entre 2012 et 2017. Cette baisse est plus qu’inquiétante alors que les Objectifs du développement durable (ODD) seront lancés en septembre 2015 pour remobiliser la Communauté internationale autour de défis cruciaux en matière de lutte contre la pauvreté et la faim, de réduction des inégalités, d’accès à l’éducation, de lutte contre le changement climatique et ses conséquences, etc.
Rapport complet sur : https://www.unicef.fr/sites/default/files/userfiles/Chaque_Enfant_Compte_Rapport_UNICEF_France%202015.pdf