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Comment la Cour de justice européenne alimente le déficit démocratique de l'UE

Les institutions européennes, leurs pouvoirs et leurs principes de fonctionnement

Comment la Cour de justice européenne alimente le déficit démocratique de l'UE

Messagepar gerald » Jeu 06 Juil 2017 14:46

« Le Monde Diplomatique » du mois de juillet 2017 publie une synthèse originale concernant l’influence anti-démocratique souterraine de la jurisprudence de la Cour de Justice européenne (CJUE). Elle est signée de Dieter Grimm, universitaire et ancien membre de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, instance qui, à la différence de son homologue français le Conseil constitutionnel, s’est toujours montrée très critique à l’égard du manque de démocratie des institutions européennes.

Selon l’auteur, « le déficit démocratique de l’UE…trouve sa source principale dans la transformation des traités européens en Constitution. C’est la conséquence de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, dont les effets compromettent l’acceptation de l’intégration par les populations ».

Comment s’est produite cette « constitutionnalisation » ? « Jusqu’en 1963, il était admis que le droit européen relevait du droit international, et qu’à ce titre il n’obligeait pas les Etats membres ; il ne pouvait avoir d’effets pour les individus d’un pays donné qu’après avoir été transposé dans son droit national. Toute au contraire, la CJUE déclare cette année-là que les traités sont d’applicabilité directe (arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963). Cela veut dire que des droits subjectifs peuvent en dériver pour les individus. Ceux-ci ont la possibilité d’en réclamer le respect devant les tribunaux de leur pays sans attendre l’adaptation du droit national au droit européen. Dans sa décision Costa vs Enel (15 juillet 1964), la CJUE va plus loin encore : elle déclare que les traités européens, et même chaque règle juridique européenne, jouissent de la primauté sur le droit national, y compris sur les normes suprêmes, à savoir les Constitutions. Les dispositions qui ne sont pas compatibles avec le droit communautaire perdant désormais automatiquement leur valeur…C’est cela qu’on a qualifié de « constitutionnalisation » des traités… ».

A partir de ces deux arrêts, « selon la CJUE, le droit européen ne fait pas partie de l’ordre international. C’est un droit autonome, qui s’est émancipé de ses créateurs nationaux…La cour interprète…les traités comme une Constitution, c’est-à-dire plus ou moins indépendamment de la volonté de ceux qui les ont signés, par référence à un but objectivé et sans prêter attention à la souveraineté nationale ».

« Conséquence : … l’intervention des Etats n’est plus nécessaire pour établir le Marché commun. La Commission (comme organe responsable de la mise en œuvre des traités) et la CJUE (comme organe responsable de l’interprétation des traités en cas de conflit) peuvent prendre en main l’intégration économique. Lorsqu’elles estiment que le droit national entrave le Marché commun, elles le déclarent inapproprié, sans que les gouvernements puissent réellement s’y opposer ».

« En effet, tout dépend désormais de l’interprétation que la CJUE donne des traités…Il devient très vite clair que la Cour poursuit, avec un zèle considérable, un but (l’intégration économique) en lui subordonnant tous les autres intérêts…Les compétences transférées à l’Union sont alors interprétées de manière extensive, les compétences retenues par les Etats membres d’une manière restrictive ».

« Les bénéficiaires de sa jurisprudence sont surtout les quatre libertés économiques (libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes) prévues par les traités ». La jurisprudence ainsi créée (par exemple, règles antiprotectionnistes interprétées comme hostile à toute régulation, l’interdiction d’accorder aux entreprises des subventions étatiques pensée de façon si large qu’elle est aussi imposée aux services publics). « Soulignons avec force que tout cela ne résulte pas directement des traités, mais d’une interprétation qui n’était pas sans solution de rechange »…

« Il résulte de la jurisprudence de la CJUE qu’il existe dorénavant deux chemins vers l’intégration au lieu d’un seul. Le chemin original, fixé par les traités, consiste à produire du droit européen primaire (traités) et secondaire (directives, règlements adoptés par les institutions de l’Union). Le nouveau chemin consiste en l’interprétation et l’application des traités, telles que la CJUE les comprend…Ces deux chemins diffèrent considérablement. Sur le premier, les Etats membres transfèrent des compétences à l’Union. Ce chemin est politique et inclut les organes légitimés et contrôlés démocratiquement de chaque pays ainsi que le Parlement européen. Sur le second chemin, l’Union retire des compétences aux Etats membres par une interprétation extensive des traités. De nature administrative et judiciaire, ce chemin exclut les instances légitimées et contrôlées démocratiquement. Il s’agit d’une intégration secrète, où les instances administratives et judiciaires jouissent d’une grande indépendance ».

« Cela ne veut pas dire que la CJUE poursuit une politique économique libérale…mais…l’objectif d’établir et développer le Marche commun…Mais, étant donné que la majorité des procédures devant la Cour émanent d’acteurs économiques qui prétendent que les lois nationales limitent leurs libertés, la Cour ne peut contribuer à établir le marché commun que de façon « négative » (éliminer les réglementations nationales) favorisant ainsi le libéralisme »…

Certes les Etats membres pour défendre leur position ont théoriquement la possibilité soit de réviser les traités, soit de saisir la CJUE contre la Commission; mais la première option exige l’unanimité des Etats, ce qui est quasiment impossible à obtenir et pour que la deuxième option soit efficace il faudrait que la CJUE agisse comme arbitre neutre alors qu’en réalité elle le fait comme moteur d’intégration. « Le résultat est un état de l’intégration européenne qui n’a jamais reçu le consentement des citoyens, et qu’ils ne peuvent pas changer même s’ils le rejettent ».

Pour l’auteur, alors que la faiblesse du Parlement européen est souvent citée comme la raison du déclin de l’acceptation de l’Union,
« il semble douteux » que le renforcement du Parlement puisse réduire le déficit démocratique pour plusieurs raisons : on vote selon 28 lois électorales différentes ; les formations politiques européennes ne plonge pas leurs racines dans les sociétés et n’entrent pas en contact direct avec les électeurs ; il n’existe pas de débat public vraiment européen et les forces intermédiaires qui doivent faire le lien entre les citoyens et les organes politiques entre les scrutins manquent ou sont peu développées. « Enfin et surtout la transformation de l’Union en un système parlementaire ne changerait rien aux conséquences de l’hyperconstitutionnalisation. Dans le domaine couvert par les traités constitutionnalisés les élections n’ont pas d’importance… »

« La source du déficit démocratique ne peut donc être surmontée que par une repolitisation des décisions les plus importantes…il faut les transférer des organes administratifs et judiciaires vers les organes politiques…limiter les traités aux dispositions constitutionnelles (définissant le cadre politique dans lequel seront prises les décisions sans préfigurer de leur contenu) et dont la responsabilité reviendrait aux Etats « maîtres des traités…Ainsi les organes politiques de l’Union (Conseil et Parlement) pourront reprendre la main sur la jurisprudence…Juridiquement c’est très facile. Politiquement c’est difficile. En tout cas aussi longtemps que les coûts démocratiques de la constitutionnalisation échapperont à l’attention publique ».

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gerald
 
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