Le jour même (22 mai 2013) où le Sommet européen débattait des paradis fiscaux, avec le résultat que l'on vient de voir, l'ONG OXFAM publiait un communiqué de presse éloquent, que nous reproduisons intégralement :
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Paradis fiscaux : l’Union européenne doit balayer devant sa porte
Les 21 paradis fiscaux liés à l’Union européenne provoquent plus de 100 milliards de dollars de perte de recettes fiscales.
Le jour où les dirigeants européens se retrouvent à Bruxelles pour, notamment, discuter de la lutte contre les paradis fiscaux, Oxfam publie les résultats de nouvelles recherches qui démontrent la part très importante de la fraude et de l’évasion fiscale des Etats liés à l’Union européenne (UE).
Alors que les scandales liés à l’évasion fiscale se multiplient dans l’actualité, Oxfam appelle les chefs d’Etats européens à balayer devant leur porte au plus vite.
Selon cette recherche :
Au moins 18 500 milliards de dollars (14 000 milliards d’euros) sont cachés par des particuliers dans des paradis fiscaux à travers le monde, ce qui représente une perte de plus de 156 milliards de dollars (120 milliards d’euros) de recettes fiscales. Ce chiffre ne comprend pas la fraude fiscale des entreprises et des multinationales, dont on estime qu’elle coûte chaque année pour le seul continent africain 160 milliards de dollars.
Les deux tiers de cette richesse mondiale offshore, plus de 12 000 milliards de dollars (9 500 milliards d’euros), sont cachés dans des paradis fiscaux liés à l’UE.
Les 21 paradis fiscaux situés dans l’Union européenne (Luxembourg, Malte…) ou relevant de la juridiction de ses membres (Andorre, Iles Caïmans…) facilitent la perte de plus de 100 milliards de dollars (80 milliards d’euros) de recettes fiscales à travers le monde.
Le Royaume-Uni et les territoires relevant de son autorité représentent à eux seuls plus de la moitié de ces territoires off-shore européens.
66 milliards de dollars sont nécessaires pour éradiquer l’extrême pauvreté, c’est-à-dire pour que chaque personne dans le monde puisse vivre avec plus d’un 1,25 dollar par jour.
Les principaux paradis fiscaux judiciaires du monde sont liés directement ou indirectement à l’Union européenne. Sur la cinquantaine de paradis fiscaux et judiciaires recensés dans le monde, vingt et un sont des juridictions liées à l’Union européenne, dont dix pour le seul Royaume Uni (Iles Vierges, Jersey, Gibraltar, etc….). Les Etats de l’Union européenne ont encouragé les paradis fiscaux à prospérer, ils ont désormais la responsabilité de balayer devant leur porte.
Les Etats-Unis ont déjà blacklisté certains Etats membres de l’UE, comme le Luxembourg ou Chypre, mais l’Union européenne n’a pas assez fait. Elle doit publier une liste noire commune des paradis fiscaux et prendre des sanctions fortes. La plupart des gouvernements prétendent ne pas avoir d’autre choix que de baisser des dépenses publiques essentielles, pourtant des sommes d’argent colossales cachées sont sous leurs nez, souligne Sébastien Fourmy d’Oxfam France.
Explication des chiffres d’Oxfam :
Pour calculer la richesse totale détenue par des personnes physiques dans les paradis fiscaux :
Oxfam a estimé que 19,5% des dépôts mondiaux sont détenus par des étrangers dans des paradis fiscaux. Le chiffre de 19,5% se fonde sur des données recueillies auprès des sources suivantes : les examens trimestriels (des avoirs extérieurs des banques dans une série de paradis fiscaux) de la Banque des règlements internationaux (BRI) ainsi que les estimations des autorités nationales comme la Banque centrale néerlandaise et le FMI de la conformité de certains pays aux normes anti-blanchiment.
Nous avons ensuite appliqué le chiffre de 19,5% à tous les actifs, car il n’y a pas de données fiables disponibles concernant le ratio des autres actifs financiers. Les taux d’imposition sont généralement les mêmes pour les différentes classes d’actifs (comme c’est le cas avec les revenus du capital, par exemple) ce qui signifie qu’il n’y a pas d’incitation à privilégier d’autres actifs au détriment des dépôts.
Les 19,5% est toutefois une estimation prudente en soi, car, les déposants nationaux pourraient tout aussi bien être aussi des déposants étrangers mais ayant des "façades" nationales. Le manque de transparence rend impossible de différencier les deux.
Le rapport du Crédit Suisse "Global Wealth" estime que la richesse financière nette totale était de 94 700 milliards de dollars (hors immobilier) en 2012. Avec la proportion de 19,5%, nous nous retrouvons avec un total de 18 500 milliards de dollars détenus en dehors du territoire.
Comment Oxfam a calculé le chiffre de 156 milliards de dollars :
Nous avons uniquement étudié les actifs offshore qui ne sont pas déclarés à l’administration fiscale (en supposant que les actifs déclarés sont imposés). Helvea estime que les actifs déclarés ne représentent que 16 %, ce que nous laisse un montant de 15 540 milliards de dollars (84 % de 18 400 milliards de dollars).
Nous avons ensuite examiné le rendement des actifs (l’"intérêt") généré par cet argent présent sur des comptes bancaires offshore. Nous utilisons un rendement prudent, mais approprié, de 3,5% en se fondant sur le rapport 2013 du Crédit Suisse Investment (qui affirme que les fonds équilibrés et les fonds obligataires offriraient des rendements réels de 2%. Pour obtenir des rendements nominaux nous ajoutons l’inflation américaine de 1,5%). Il s’agit d’une estimation prudente, car le taux d’inflation actuel est faible (il s’agit d’un taux actuel faible, plutôt qu’une moyenne plus élevée que les taux récents), et il est inférieur aux rendements moyens annoncés à leurs clients par les fonds privés.
Enfin, nous avons examiné les taux d’imposition des actifs étrangers dans chaque pays tels que rapportés dans le World Wide Tax Summary de PwC, calculé chacun individuellement et ensuite additionné les résultats obtenus. Le total est de 156,310 milliards de dollars.
Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?
Oxfam a utilisé la liste des 50 "juridictions offshore" établies par l’Accountability Office du gouvernement américain à laquelle elle a ajouté deux autres importants paradis fiscaux : le Delaware et les Pays-Bas. Parmi ces juridictions, 21 sont des pays liés à l’UE et 10 au Royaume-Uni (Anguilla, les Bermudes, les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, Gibraltar, Guernesey, l’Île de Man, Jersey, Montserrat et les îles Turques-et-Caïques). "
On notera au passage une sérieuse distorsion, en ce qui concerne la perte annuelle de recettes fiscales pour l'UE, entre les chiffres cités par
Le Monde dans les messages précédents de ce sujet et les chiffres avancés par
OXFAM : 1.000 milliards d'euros d'un côté et 70 milliards de l'autre. C'est de toutes façons beaucoup, mais ce serait bien d'y voir clair !
Une première raison - majeure - de l'écart pourrait bien être que les deux sources ne parlent pas de la même chose :
- les 1.000 milliards concerneraient l'évasion fiscale sous toutes ses formes, y compris, par exemple, l'économie "souterraine" (travail au noir), qui représente jusqu'à plus de 25 % du PIB "officiel" dans certains pays européens ;
- dans cet ensemble, les 70 milliards correspondraient au manque à gagner du aux seuls paradis fiscaux.
Sur ce sujet, on pourra lire cet article de
Geopolis (12 avril 2013) :
http://geopolis.francetvinfo.fr/paradis-fiscaux-vers-la-levee-du-secret-bancaire-14729 On y trouve notamment les indications suivantes :
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En dépit de la guerre menée par les pays industrialisés contre les paradis fiscaux, une manne de 25.000 milliards de dollars se dissimulerait dans ces zones défiscalisées, privant ainsi les Etats de 280 milliards de dollars de revenus fiscaux, selon une étude publiée par le groupe de pression [i]Tax Justice Network.
Rien qu’en France, selon le bilan de la commission d’enquête sénatoriale sur les paradis fiscaux, l’évasion fiscale coûterait de 40 à 50 milliards d’euros par an au budget de l’Etat, soit la moitié environ du déficit annuel du pays. "
La perte mondiale annuelle de revenus fiscaux due aux seuls " paradis " serait donc de 156 milliards de dollars (pour ce qui concerne les particuliers) selon OXFAM et de 280 selon
Tax Justice Network. La fourchette se resserre !
Précisons que Tax Justice Network s'est fait une spécialité de ces questions. Son évaluation est donc très probablement établie sur des bases sérieuses. Concerne-t-elle la seule évasion des particuliers ou aussi celle des entreprises ?