Après le Luxleaks, le travail de la Commission du Parlement européen sur les rescrits fiscaux.
« Libération » dans son numéro du 3 novembre 2015 publie plusieurs articles et documents pour faire le point sur la question des paradis fiscaux et l’harmonisation fiscale un an après les révélations (« Luxleaks ») par le lanceur d’alerte Antoine Deltour. Le Luxleaks concerne les arrangements au cas par cas du fisc luxembourgeois avec 340 multinationales leur permettant d’échapper en grande partie à l’impôt, conclus pendant une période où Jean-Claude Juncker, actuel Président la Commission européenne, était Premier ministre luxembourgeois. Ces arrangements qui dérogent au régime fiscal normal sont appelés « rescrits ».
Parmi les documents publiés figure une demande signée par plusieurs personnalités du Parlement européen, par Romano Prodi, ancien Président de la Commission européenne et par les économistes, Thomas Piketty et Jean-Paul Fitoussi. Selon celle-ci « un an après Luxleaks, rien n’a changé…l’Europe déçoit ». Les auteurs demandent « des réformes ambitieuses pour réduire la fraude fiscale » et plus spécifiquement la mise en place d’un « reporting pays par pays…il s’agit d’obliger les entreprises cotées en Bourse à rendre publiques des informations sur leurs activités et les impôts qu’elles paient dans tous les pays où elles sont actives. Cette mesure permettrait aux autorités fiscales, aux investisseurs, y compris aux citoyens, d’agir en cas de comportement inapproprié ou illicite. Les banques européennes sont aujourd’hui soumises à ces exigences de transparence. »
Cette mesure est également considérée comme essentielle par plusieurs ONG qui s’intéressent à ces questions. Elles mettent en avant également deux autres exigences : que les Etats publient les rescrits, et que soit mis en place des registres publics sur les propriétaires réels ou les bénéficiaires effectifs des sociétés-écran, fiducies, trusts etc. Elles soulignent que tous les états sans exception participent à la course au nivellement fiscal par le bas.
Ce thème est prolongé par un entretien avec le Président de la Commission du Parlement européen sur les rescrits fiscaux, créée après le Luxleaks, l’eurodéputé et président de la délégation française du groupe Parti populaire européen, Alain Lamassoure. Pour lui, « la révélation du dossier fiscal d’entreprises basées au Luxembourg a montré aux 500 millions d’Européens qu’à un moment où eux-mêmes payaient beaucoup d’impôts, les multinationales, elles, parvenaient à y échapper avec la complicité active de certains Etats ». A la question « En un an, qu’est-ce qui a été fait ? », il répond : « une première directive a rendu obligatoire l’échange d’informations sur les rescrits entre les administrations fiscales…et une première bordée de missiles a été lancée contre Fiat Finance, Starbucks, le Luxembourg et les Pays-Bas, en estimant qu’une fiscalité trop avantageuse est une aide d’Etat illégale. Ces entreprises, qui ont bénéficié de rescrits anormaux devront payer le même taux que les PME du pays. Et le Parlement européen a crée la commission que je préside afin d’enquêter sur les pratiques fiscales déloyales et de formuler des recommandations. »
Devant le refus initial par un certain nombre de grandes entreprises d’être auditionnées par la Commission du Parlement, celle-ci a « menacé toute entreprise qui refuserait de coopérer de voir ses lobbyistes et ses dirigeants interdits d’accès. On a ainsi pu vérifier que même Google, l’une des entreprises les plus puissantes du monde, ne peut pas se permettre d’être « blacklistée » par le Parlement européen ». Alain Lamassoure croit déceler « un changement de culture. Grâce à l’indignation populaire suscitée par le Luxleaks, on peut espérer que les Etats ne chercheront plus à attirer des entreprises en imaginant des dispositifs fiscaux ingénieux, mais grâce à des atouts plus avouables : qualité des services financiers, de l’administration, des infrastructures, qualification de la main-d’œuvre, etc. »
Cependant pour lui « la concurrence fiscale est inévitable. Nous la jouons même dans nos collectivités locales par le biais, par exemple, de la taxe d’habitation. Mais il faut qu’elle soit équitable, transparente et loyale. L’Irlande doit pouvoir garder son taux de 12,5% pour les sociétés…à condition qu’il s’applique à l’assiette que nous aurons arrêtée en commun. On s’apercevra aussi que le taux de 38% en France est purement nominal : l’assiette de l’impôt sur les sociétés peut être réduite par tellement de « niches » qu’en définitive le taux réel n’est parfois pas très éloigné de celui des Irlandais. »
Il résume ainsi les recommandations du rapport de la Commission qui sera soumis au Parlement le 25 novembre : au niveau de l’Union : harmonisation de la base fiscale de l’impôt sur les sociétés ; au niveau de l’OCDE : une définition commune de la domiciliation fiscale, l’obligation de déclaration des bénéfices des entreprises pays par pays, des règles précises sur l’imposition des transactions financières internes aux groupes…Nous demandons aussi à la Commission de proposer un statut protecteur pour les « lanceurs d’alerte », ceux qui ont le courage de dénoncer des situations aussi scandaleuses. »
A la question : « Ne faudrait-il pas mettre en cause la responsabilité de Jean-Claude Juncker, puisqu’il a développé la pratique des rescrits alors qu’il était Premier ministre du Luxembourg ? », Alain Lamassoure, en tant que représentant de la majorité au Parlement, répond en rappelant que cette pratique était légale et parfaitement connue des partenaires du Luxembourg et que le rôle du Parlement…est de s’assurer que la Commission actuelle et son Président mettent tout en œuvre pour mettre en place une fiscalité équitable. »
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