« Europe’s economic suicide »
Sous ce titre le Prix Nobel d’économie américain Paul Krugman publie une tribune dans le New York Times reprise dans l’ International Herald Tribune du 17 avril 2012, dans laquelle il qualifie de « démence » la politique d’austérité imposée par les instances européennes comme réponse à la crise actuelle.
Il part d’un reportage publié également dans le New York Times quelques jours auparavant sur le nombre croissant de « suicides par crise économique » en Europe c’est-à-dire des suicides dûs au désespoir lié au chômage ou à la faillite d’une entreprise. Il se dit très touché humainement par cette situation, et se demande si on ne peut pas, en prenant du recul par rapport aux tragédies individuelles, parler d’une détermination apparente des dirigeants européens de conduire le continent entier au suicide sur le plan économique.
Il avait espéré que l’initiative qu’il qualifie de « courageuse et efficace » de mise en place par la BCE fin 2011 de lignes de crédit beaucoup plus ouvertes qu’auparavant pour les banques européennes qui ont ainsi soutenu indirectement les gouvernements en difficulté, allait donner aux dirigeants européens le temps de souffler et de changer de cap. Mais c’est la situation actuelle de l’Espagne qui prouve le contraire. Pour Krugman ce pays n’est pas en récession mais clairement en dépression avec des statistiques de chômage comparables à celles de la Grande Dépression aux Etats-Unis pendant les années trente. La crise espagnole a eu pour cause principale l’éclatement d’une énorme bulle immobilière alors que la position budgétaire du pays à l’époque était saine et son endettement public réduit, c’est-à-dire que ses problèmes budgétaires d’aujourd’hui sont le résultat de sa dépression et non pas la cause de celle-ci. Cependant le remède qu’on applique est toujours le même : encore plus d’austérité. Pour Krugman c’est de la démence alors qu’après plusieurs années de ce type de politique en Europe on voit la confirmation de ce que démontraient déjà de nombreux exemples tirés de l’histoire économique : les programmes d’austérité enfoncent les économies en dépression encore plus loin dans la dépression.
Dans les années trente la condition essentielle pour amorcer la reprise a été la sortie de l’étalon-or. L’équivalent aujourd’hui en Europe serait la sortie de l’euro. On peut trouver un tel évènement « inconcevable » à cause des bouleversements économiques et politiques qu’il engendrerait, mais selon Krugman, ce qui mérite vraiment le vocable d’inconcevable c’est d’imposer une austérité toujours plus forte à des pays souffrant déjà d’un niveau de chômage symptôme de dépression économique.
Pour Krugman, le remède réside dans des politiques monétaires expansionnistes et une volonté clairement annoncée par la BCE d’accepter des niveaux d’inflation plus élevés alors que c’est une détermination en sens contraire qui est toujours de mise.
Krugman, en dehors de ses travaux académiques reconnus et primés, est un commentateur économique très écouté dans le monde anglo-saxon. Par cet article qui n’apporte rien de nouveau sur le fond mais est très incisif par son ton, il a voulu jeter le poids de son prestige dans la balance contre une politique qu’il juge perverse.