A l'occasion du Conseil européen du 13 décembre 2012, Martin Schulz (membre du SPD allemand et du groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen), Président du Parlement européen, s'est exprimé comme suit :
" La crise a révélé au grand jour les faiblesses de l'union économique et monétaire; les défauts de construction se sont transformés en grave danger pour la monnaie unique et le marché intérieur. Accepter cette réalité, cela signifie aussi assumer la responsabilité de doter notre communauté d'une architecture institutionnelle qui fonctionne bien, qui est compréhensible et démocratique.
Avec la feuille de route pour une véritable union économique et monétaire, vous avez l'opportunité de poser des jalons historiques. On ne peut toutefois même pas spéculer sur la crédibilité de tels projets, étant donné que le sommet sur l'avenir aura lieu entre deux sommets sur le budget dont l'issue est incertaine.
L'engagement en faveur de l'Union européenne ne se démontre pas par des visions d'avenir mais par des actes concrets. Et surtout, les débats qui se poursuivent sur les traités ne doivent pas nous détourner de la recherche de solutions aux problèmes vraiment urgents. Ce ne sont pas les modifications de traité dans deux ou trois ans qui vont aider un seul jeune à trouver un emploi aujourd'hui. Notre responsabilité commune consiste à veiller à ce que les jeunes Européens ne voient pas leurs perspectives d'avenir sacrifiées en raison de la crise.
Vous devez à l'heure actuelle décider si vous souhaitez continuer à appliquer la méthode du patchwork dans le cadre de laquelle les lacunes ne sont comblées que de façon ponctuelle et provisoire, par exemple grâce à des montages risqués en dehors des traités, comme le pacte budgétaire ou les arrangements contractuels proposés actuellement. Au total, cet ensemble de pièces juxtaposées forme alors une construction opaque qui déstabilise les citoyens. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les citoyens ne la comprennent pas et se détournent de l'Union européenne. Elle est véritablement devenue difficile à cerner. Êtes vous encore en mesure d'expliquer ce nouveau méli mélo d'acquis communautaire, de dispositions intergouvernementales et d'accords bilatéraux entre la Commission et les États membres?
Saisissez donc la chance qui vous est offerte actuellement de garantir la clarté institutionnelle et de renforcer la démocratie européenne. L'Union a besoin d'un modèle de séparation des pouvoirs, comme les citoyens le connaissent dans leurs États nationaux: à savoir un gouvernement, un parlement, une deuxième chambre et une cour de justice. En réalité, cette structure existe déjà. Il suffit d'appeler enfin les institutions existantes par leurs véritables noms: la Commission est le gouvernement européen, le Parlement européen choisit et contrôle ce gouvernement et, conjointement avec la deuxième chambre, le Conseil, adopte les lois pour l'Union européenne, et nous voulons enfin appeler "lois" ces actes juridiques. Une Europe qui n'est pas démocratique ne sera jamais acceptée par les citoyens.
Une Europe démocratique doit reposer sur le principe que le contrôle démocratique et la responsabilité sont exercés au même niveau que la prise de décision. À l'échelon de l'Union européenne, c'est le Parlement européen qui doit s'en charger. Au nom de tous mes collègues, je me félicite que ces derniers mois, aussi bien au sein de la Commission que du Conseil européen, le Parlement européen ait enfin été reconnu à part entière comme l'institution légitimant toutes les politiques de l'Union européenne, ce qui aurait déjà dû se produire depuis longtemps. Nous déplorons toutefois vivement que, contrairement à toutes les promesses données sur le modèle 4+1, le Parlement n'ait plus été consulté sur le document rédigé par Herman Van Rompuy. Il est inacceptable que le Parlement soit ignoré de la sorte!
C'est pourquoi je souligne encore une fois que c'est au Parlement que revient le contrôle démocratique de toutes les décisions prises à l'échelon de l'Union européenne. Cela s'applique aussi bien à un éventuel budget de la zone euro qu'au semestre européen, au rapport annuel sur la croissance et aux lignes directrices pour les politiques économiques. Seule la méthode communautaire permet de prendre des décisions efficaces et ayant une légitimité démocratique à l'échelon de l'Union. Une union économique et monétaire renforcée doit reposer sur les institutions de l'Union existantes, la législation être adoptée dans le cadre de la procédure de codécision. Le Parlement européen n'acceptera pas de division de l'Union. Pour nous, il est clair que l'intégrité de l'Union doit être maintenue.
Notre engagement en faveur d'une Union démocratique et unie doit être à la base de toutes les décisions relatives à une véritable union économique et monétaire. Dans ce contexte, nous ne devons pas nous déchirer sur des questions concernant un avenir lointain mais plutôt prendre des mesures concrètes pour surmonter la crise actuelle. Dans son projet détaillé, la Commission a prévu que la grande majorité des mesures de réforme pouvaient être réalisées sans modifier le traité. Prenons ceci comme confirmation qu'il convient de s'atteler dès à présent à nos quatre missions principales. Dans le rapport Thyssen, le Parlement européen a exprimé sa position sur les propositions de réforme débattues aujourd'hui. Permettez-moi d'en évoquer brièvement les grandes lignes.
Notre première mission consiste à éviter une nouvelle crise financière. L'Europe doit non seulement regagner la confiance des marchés, mais aussi se faire respecter par ces derniers.
Dans le cadre de l'union bancaire, le Parlement européen se prononce en faveur de la mise en place rapide d'un mécanisme européen unique de surveillance pour toutes les banques, afin de garantir l'application efficace des règles prudentielles, du contrôle des risques et de la prévention des crises. La position arrêtée ce matin par le Conseil des ministres des finances de l'Union européenne constitue une bonne base de négociation avec le Parlement européen. Elle raffermit notre espoir de disposer enfin d'une surveillance bancaire commune et globale. Seule une surveillance bancaire européenne centralisée dotée de vastes compétences aura l'indépendance et la neutralité nécessaires pour empêcher, grâce à une surveillance efficace, que les citoyens ne soient à nouveau sollicités pour le sauvetage des banques.
Le Parlement européen s'oppose catégoriquement à une division entre les pays ayant l'euro comme monnaie et les pays ne l'ayant pas, notamment pour l'union bancaire. Étant donné l'étroite interdépendance entre tous les pays de l'Union, nous jugeons essentielle la mise en place d'une surveillance bancaire uniforme. Si la participation doit être obligatoire pour les pays de la zone euro, tous les États membres de l'Union européenne doivent avoir la possibilité de participer à la surveillance bancaire sur un pied d'égalité. Cela doit notamment s'appliquer aux États membres de l'Union qui ne sont pas encore membres de la zone euro mais qui se sont engagés à mettre en place la monnaie commune. Là aussi, le principe suivant s'applique: seule une responsabilité de la surveillance bancaire devant le Parlement européen peut garantir la légitimité démocratique.
Outre l'autorité de surveillance unique, les directives sur la garantie des dépôts et sur le redressement et la résolution des défaillances d'établissements de crédit et d'entreprises d'investissement sont également nécessaires pour protéger les citoyens européens des ravages causés par les faillites bancaires.
Notre deuxième mission consiste à lutter contre la crise de la dette. Dans le cadre de l'union budgétaire, le Parlement européen demande une approche équilibrée: davantage de discipline budgétaire doit aller de pair avec davantage de solidarité. Sur ce point, nous sommes d'accord avec la Commission européenne. Un éventuel budget de la zone euro doit faire partie du budget de l'Union.
La solidarité et la responsabilité doivent s'accompagner également d'une lutte résolue contre l'évasion et la fraude fiscales! Par conséquent, la Commission devrait, pour renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, finaliser les cycles de négociations internationales et soumettre des propositions visant à améliorer la coopération et la coordination entre les autorités fiscales.
En ce qui concerne notre troisième mission, l'union économique, l'accent principal se porte sur le contrôle démocratique. En ce qui concerne la coordination ex ante de la politique économique et le semestre européen, la participation et le contrôle par les parlements nationaux et le Parlement européen doivent être garantis. Il s'agit en effet du droit cardinal du Parlement: le droit budgétaire!
Le Parlement européen participe déjà très activement au dialogue économique dans le cadre du semestre européen, et coopère étroitement avec les parlements nationaux. À elle seule, la coopération entre parlements ne confère toutefois pas aux décisions de l'Union une quelconque légitimité démocratique; celle ci ne peut être conférée que par le Parlement européen. Nous nous félicitons que la Commission soutienne notre proposition d'intégrer pleinement le Parlement européen dans les mécanismes du semestre.
Ceci s'applique également aux décisions relatives à la zone euro. Au sein du Parlement européen, nous avons commencé à discuter, sans préjuger des résultats, de la façon dont le Parlement pourrait lui même s'organiser pour assumer ses responsabilités en ce qui concerne les décisions à prendre sur les politiques relatives à l'euro.
En tant que représentants du peuple, nous sommes irrités que le pacte social que nous avons demandé n'ait pas été pris en compte dans le document élaboré par M. Van Rompuy. Pendant des décennies, l'Union européenne a représenté pour les citoyens une promesse de paix, de démocratie et de prospérité. L'Union européenne a reçu lundi le prix Nobel de la paix pour cette performance exceptionnelle. En ces temps de crise, les citoyens européens ont plus que jamais besoin d'une puissance de protection sociale. Le Conseil européen doit lui aussi accepter cette responsabilité. C'est là notre quatrième mission. Dans le rapport Thyssen, le Parlement européen a ainsi demandé un pacte social pour réaliser les objectifs de l'Union d'un niveau d'emploi et de protection sociale élevé. Outre les indicateurs budgétaires et macroéconomiques, l'emploi et les indicateurs sociaux devraient être également surveillés. Il s'agit pour cela simplement de surveiller chaque année les engagements pris dans le cadre de la stratégie Europe 2020.
Le Parlement européen demande des salaires permettant aux travailleurs de pourvoir à leur subsistance, des services publics de qualité élevée, l'accès à des logements abordables et à des logements sociaux, l'accès garanti et universel aux soins de santé, la protection des droits sociaux et des droits des travailleurs, le même salaire et les mêmes droits pour le même travail ainsi que des emplois pour les jeunes, notamment la garantie pour la jeunesse proposée par le Parlement européen.
Eu égard au taux de chômage des jeunes qui est dramatique en Europe, la garantie pour la jeunesse revêt une importance considérable. Tous les jeunes de moins de 25 ans doivent obtenir un travail, une formation ou un stage en l'espace de quatre mois. Aucun jeune ne doit rester sans perspective d'avenir. Il serait envisageable d'accorder une aide publique aux PME qui embauchent des jeunes ou d'accorder des allègements fiscaux aux entreprises qui emploient des apprentis. La garantie pour la jeunesse ne doit pas devenir un tigre de papier. Nous nous félicitons donc que la présidence irlandaise ait annoncé qu'elle ferait de la garantie pour la jeunesse une priorité. D'autant plus que l'Organisation internationale du travail a calculé que les coûts d'une garantie pour la jeunesse s'élèveraient dans la zone euro à environ 21 milliards d'euros. Pour l'assistance aux jeunes chômeurs, les gouvernements doivent dépenser plus de 153 milliards d'euros par an, d'après l'agence Eurofound de l'Union européenne.
La réglementation des marchés financiers, la crise de la dette, la récession et le chômage, voilà les problèmes urgents auxquels il faut s'attaquer!
Le prix Nobel de la paix décerné à l'Union européenne représente pour nous à la fois un avertissement et un encouragement. L'avertissement de ne pas perdre notre héritage par de mauvaises spéculations. L'encouragement à résoudre nos problèmes. Lors de la remise du prix ce lundi, Thorbjørn Jagland a formulé avec insistance la mission que nous confère le prix Nobel de la paix en ces termes: "Nous ne sommes pas réunis ici aujourd'hui avec la conviction que l'Union européenne est parfaite. Nous sommes réunis avec la conviction qu'ici, en Europe, nous devons résoudre nos problèmes ensemble. À cette fin, nous avons besoin d'institutions qui soient en mesure de faire les compromis nécessaires. Nous avons besoin d'institutions pour veiller à ce que les États nations, comme les individus, fassent preuve d'autodiscipline et de modération. Dans un monde recelant autant de dangers, le compromis, l'autodiscipline et la modération sont les principaux besoins du XXIe siècle." C'est pourquoi la méthode et les institutions communautaires doivent continuer, à l'avenir, à constituer le fondement d'une véritable union économique et monétaire. "
Ce texte comporte des prises de position qui iront droit au cœur des européistes.
Herman Van Rompuy en prend pour son grade !
Un morceau de premier choix, sur lequel nous nous faisons un plaisir d'insister :
« Vous devez à l'heure actuelle décider si vous souhaitez continuer à appliquer la méthode du patchwork dans le cadre de laquelle les lacunes ne sont comblées que de façon ponctuelle et provisoire, par exemple grâce à des montages risqués en dehors des traités, comme le pacte budgétaire ou les arrangements contractuels proposés actuellement. Au total, cet ensemble de pièces juxtaposées forme alors une construction opaque qui déstabilise les citoyens. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les citoyens ne la comprennent pas et se détournent de l'Union européenne. Elle est véritablement devenue difficile à cerner. Êtes‑vous encore en mesure d'expliquer ce nouveau méli‑mélo d'acquis communautaire, de dispositions intergouvernementales et d'accords bilatéraux entre la Commission et les États membres ? »
On ne saurait mieux dire.
Par contre, je regrette un peu l’ordre de présentation des « 4 missions principales » :
- " Notre première mission consiste à éviter une nouvelle crise financière. L'Europe doit non seulement regagner la confiance des marchés, mais aussi (note personnelle : ET SURTOUT) se faire respecter par ces derniers ".
- " Notre deuxième mission consiste à lutter contre la crise de la dette.
- En ce qui concerne notre troisième mission, l'union économique, l'accent principal se porte sur le contrôle démocratique. " OUIIIII !- " En ces temps de crise, les citoyens européens ont plus que jamais besoin d'une puissance de protection sociale. (…). C'est là notre quatrième mission. "
Cela aurait été magnifique si le « pacte social » avait été mis au premier rang, conditionnant tout le reste.
Mais ne boudons pas notre plaisir …